Son vote par le Parlement avait fait l’objet d’une procédure et de débats homériques, entre les deux chambres, mais également au sein de chaque hémicycle.
Cette loi est aujourd’hui largement décrite dans les médias comme la plus belle invention après le papier mâché, qui va enfin permettre aux pouvoirs publics de lutter efficacement contre les dérives sectaires, de faire revenir l’être aimé et de guérir les écrouelles.
Toutefois, cet optimisme de façade ne résiste pas longtemps à l’analyse juridique du texte, article par article.
Si les améliorations – accessoires – se comptent sur les doigts de la main, les errements du législateur sont nombreux – qui plus est sur des enjeux majeurs de la lutte contre les « dérives sectaires ».
La lutte contre les dérives sectaires ne doit pas se concentrer sur la notion d’emprise mentale de la victime. Il convient au contraire de focaliser sur les actes matériels et la volonté infractionnelle du délinquant.
Mme Sonia Backès est depuis quelques mois la Secrétaire d’État chargée de la citoyenneté. À ce titre, elle chapeaute la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Elle en est rapidement devenue le visage médiatique (et très médiatisé) – éclipsant du même coup Christian Gravel et Hanène Romdhane, respectivement président et cheffe de ladite mission.
Dans une entrevue au journal Marianne parue le 3 novembre dernier, évoquant les objectifs de la Miviludes sous sa gouverne, Sonia Backès proclamait que, pour lutter efficacement contre les «dérives sectaires», il faudra intégrer la notion d’emprise mentale dans l’arsenal législatif.
Bien sûr ! s’exclamera-t-on de prime abord. On ne peut pas être contre la vertu.
Et pourtant, c’est une très mauvaise idée. En voici l’explication, en 3 étapes.
5. Pourquoi prioriser la lutte contre les organisations sectaires nuisibles
Lorsque nous avons développé le spectre des dérives sectaires, nous avons constaté que deux d’entre elles – les citoyens souverains et les groupes jihadistes – font l’objet d’un suivi par des services spécifiques de l’État. Ces deux catégories seront donc retirées de l’équation dans les prochains développements.
Dans cette dernière partie, nous allons voir pourquoi, selon moi, ces acteurs traditionnels devraient – du moins dans un premier temps – focaliser leur action quasi-exclusivement sur les « organisations sectaires nuisibles.»
4. (Re)définir la « secte » comme organisation sectaire nuisible
4.1. Pourquoi définir la « secte »
Au Canada, la lutte contre le crime organisé est d’abord l’œuvre d’équipes de policiers et d’analystes en renseignement criminel ayant une spécialisation sur une “souche de criminalité” (une catégorie de groupes délinquants) : crime organisé d’origine italienne, motards violents, groupes autochtones, groupes est-européens, gangs de rue, etc. Ces souches de criminalité sont clairement établies et définies.
Ainsi, pour la souche Gangs de rue, dans un article universitaire, plusieurs spécialistes rappelaient qu’une bonne définition commune du terme gang de rue :
« 1) favorise des estimations exactes des activités liées aux gangs à l’échelle nationale, provinciale et municipale ;
2) renforce notre capacité d’établir des comparaisons régionales ;
3) permet de documenter les facteurs de risque associés aux activités liées aux gangs dans des administrations précises ;
4) est utile pour documenter le montant du financement public requis pour s’attaquer aux problèmes liés aux gangs dans des administrations précises ;
5) habilite les responsables de l’application de la loi des différentes administrations à communiquer dans la même « langue » et à acquérir une compréhension commune des gangs, des membres de gang et des actes criminels liés à un gang ; et
6) rehausse la qualité des enquêtes sur les gangs auxquelles participent les services de police de différentes régions.
À cela on pourrait ajouter qu’une bonne définition opérationnelle pourrait permettre d’estimer l’effet sur ces groupes des efforts de prévention et de répression.»
Ces considérations s’appliqueraient tout autant à la lutte contre les « sectes » : combattre des organisations criminelles dont l’objet est de tromper et d’assujettir des personnes sur le fondement d’activités de nature religieuse nécessite de la part des autorités un engagement adapté. Au préalable, il faut que les forces l’ordre sachent convenablement nommer et définir l’adversaire.
Derrière la notion de « dérive sectaire » se cache en réalité une multitude de groupes, de courants de pensée, de causes à défendre et d’objectifs stratégiques à atteindre.
On proposera tout d’abord une typologie de ces « dérives » (3.1.).
En nous concentrant sur quatre d’entre elles, on constatera que pour certaines, à but politique, la réponse sociale la plus adaptée consiste à recourir à des services spécialisés – et non à des institutions traditionnellement engagées dans la lutte contre les « dérives sectaires » (3.2.).
La comparaison des catégories organisations sectaires et médecines alternatives mettra en évidence les différences dans les types d’exactions commises et dans la réponse adaptée des autorités à leur encontre. Ce qui introduira l’idée d’une nécessaire priorisation de l’action des pouvoirs publics sur un type de « dérive sectaire » (3.3).
Les pouvoirs publics français s’inquiètent du phénomène sectaire depuis un demi-siècle. Mais ils ont longtemps été réticents à définir la « secte.»
Au tournant des années 2000, le terme « secte » est supplanté par celui de « dérive sectaire.» Cette opportune pirouette lexicale permet aux diverses administrations concernées de repousser aux calendes l’énoncé d’une définition de leur champ d’études et d’action.
C’est finalement neuf ans après sa création que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) propose une définition de son pré carré.
Mais au lieu de circonscrire son domaine de compétence, cette définition va au contraire l’étendre très largement ; et conduire ainsi les pouvoirs publics à toujours plus diluer leurs ressources et affaiblir leurs efforts dans leur lutte contre les « dérives sectaires.»
C‘est un époque de pandémie, de fausses informations, de complotisme, de rejet massif du consensus scientifique et de «gourous 2.0.»
Et un terme est continuellement sur les lèvres de tous les observateurs du phénomène : la « dérive sectaire.»
Popularisée par la Mission interministérielle éponyme, cette notion est-elle bien utile dans la lutte contre ces formes d’obscurantisme ? Le modèle des « dérives sectaires » développé par ceux qui les combattent ne serait-il pas plutôt contre-productif ?
Car en englobant sous un même vocable un champ d’exactions diverses et variées, les pouvoirs publics sont induits à traiter simultanément l’intégralité du domaine des « dérives sectaires » ; ce faisant, ne diluent-ils pas leurs ressources (en temps, en argent, en personnel) – et donc leur efficacité ?
Voici la vidéo de la présentation que j’ai donnée le 1er juillet dernier, à la Conférence de l’International Cultic Studies Association – organisée à distance depuis Montréal.
Le modèle de la bergerie se propose, sur une base objective :
de détecter les églises délinquantes ;
et, parmi elles, de distinguer entre les églises radicales et les églises malveillantes.
Pour en faire la démonstration, nous prendrons ici comme exemples deux nouveaux mouvements religieux particulièrement controversés : les Témoins de Jéhovah (4.1) et l’Église de scientologie (4.2).
On rencontre traditionnellement deux acceptions concurrentes du mot « secte » :
dans son sens étymologique, la secte est un groupe issu d’une organisation religieuse dont il s’est coupé (du latin secare) pour suivre (du latin sequi) une version alternative du dogme et/ou un autre leader ;
au sens péjoratif, la secte est un nouveau mouvement religieux controversé, qui présenterait un danger pour les individus et la société.
Mais quels sont les critères objectifs et pertinents qui permettent de faire la distinction entre les deux acceptions ?