Lutte contre les sectes – Pour un changement de modèle stratégique – 1/5



1. Un constat. Une suggestion.

C‘est un époque de pandémie, de fausses informations, de complotisme, de rejet massif du consensus scientifique et de «gourous 2.0.»

Et un terme est continuellement sur les lèvres de tous les observateurs du phénomène : la « dérive sectaire.»

Popularisée par la Mission interministérielle éponyme, cette notion est-elle bien utile dans la lutte contre ces formes d’obscurantisme ? Le modèle des « dérives sectaires » développé par ceux qui les combattent ne serait-il pas plutôt contre-productif ?

Car en englobant sous un même vocable un champ d’exactions diverses et variées, les pouvoirs publics sont induits à traiter simultanément l’intégralité du domaine des « dérives sectaires » ; ce faisant, ne diluent-ils pas leurs ressources (en temps, en argent, en personnel) – et donc leur efficacité ?

Tout ça pour ça

Force est de constater que le bilan de la lutte contre les dérives sectaires en France n’est guère enthousiasmant.

Si l’on compte énormément de signalements (la Miviludes en recense de son côté plusieurs milliers par an), le nombre de poursuites diligentées suite à ces signalements s’avère considérablement moindre (cf. Miviludes, Rapport d’activités 2018-2020 , p. 10).

Le nombre de procès en la matière est encore bien inférieur. Quant aux condamnations au pénal des groupes et gourous, elles se comptent, selon les années, sur les doigts d’une ou deux mains.

Doit-on se satisfaire de ce fossé entre la perception du risque sectaire et la façon dont les tribunaux en rendent compte ?

Et peut-on expliquer (en partie) cet écart par autre chose que le manque de subventions publiques, la refonte de la Miviludes, ou l’infiltration de l’Anthroposophie au sein des ministères ?

Certitude de la peine et sens des priorités

En 1764, dans son traité Des délits et des peines, l’éminent criminaliste italien Cesare Beccaria écrivait :

« Ce n’est pas la rigueur des châtiments qui prévient le plus sûrement les crimes, c’est la certitude du châtiment. (… )
La perspective d’un châtiment modéré, mais inévitable fera une impression plus forte que la crainte vague d’une punition terrible, auprès de laquelle se présente quelque espoir d’impunité.»

Aussi, face à la multitude de mouvances et de groupements délinquants qui constituent les « dérives sectaires », il m’apparaît primordial de rechercher la certitude d’une répression pénale dans le domaine le plus criminogène.

Qui trop embrasse mal étreint

Dès lors, plutôt que d’essayer d’embrasser l’intégralité du domaine des «dérives sectaires», ceux qui les combattent devraient déterminer des champs d’action restreints à prioriser et y focaliser leurs ressources.

Cela nécessite – du moins dans un premier temps – , une spécialisation de l’action des pouvoirs publics. Une fois l’efficience du modèle constatée sur ce domaine restreint, il sera légitime d’étendre progressivement cette approche par spécialisation à d’autres champs d’action voisins.

Aussi, je me propose dans cette série :

  1. de revenir sur la notion de « dérive sectaire », fondement discutable de l’action menée par les pouvoirs publics français en la matière ;
  2. de tirer du « spectre des dérives sectaires » plusieurs champs de spécialisation, afin d’envisager une autre stratégie ;
  3. de focaliser sur le champ restreint des « sectes », d’en donner une définition plus objective et de recourir à une dénomination plus précise : l’« organisation sectaire nuisible » ;
  4. d’énoncer pourquoi la lutte contre ces organisations sectaires nuisibles devrait être priorisée.

2. La notion de « dérive sectaire » >>>

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.