« Dérives sectaires gazeuses » et thérapies alternatives : ce que les chiffres de la Miviludes ne disent pas

Où l’on constate que les « sectes » soi-disant surannées sont toujours nettement plus dangereuses pour la société que les praticiens de médecines alternatives.

Dans son rapport d’activité pour l’année 2021 (dernier en date), la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) écrivait (p. 20 et 21, souligné par moi) :

[C]es dernières années, (…) la MIVILUDES constate (…) un émiettement des dérives sectaires dans des domaines bien plus larges que la spiritualité tels que la santé. 
Des manipulateurs isolés et parfaitement autonomes ont pu aisément exploiter ce contexte  pour propager leur doctrine sur les réseaux sociaux. En procédant ainsi, ces « gourous 2.0 » ont pu s’offrir, non seulement une véritable vitrine publicitaire pour leur activité, mais aussi un espace pour réunir et contrôler une communauté virtuelle dont la souffrance est – quant à elle – bien réelle.
L’offre sectaire s’est largement accrue, chacun pouvant proposer son propre corpus de contre-vérités et sa panoplie de promesses miracles face aux maux des citoyens. La MIVILUDES observe un phénomène sectaire « à l’état gazeux » : le groupe est bien là, mais il est mobile, changeant et impalpable. Ses membres y adhèrent ou se désolidarisent facilement en créant d’autres groupes, selon la lecture qu’ils font du contenu doctrinal. Certains pourront alors sans mal l’essaimer à l’identique ou avec des variantes.
(…)
Les réseaux sociaux ont continué à jouer un rôle central dans l’atomisation du phénomène sectaire en constituant un vecteur de propagation pour un ensemble diffus de microgroupes, de nébuleuses informes de personnes, plus ou moins liées autour de méthodes et de doctrines qui ne se rencontrent qu’épisodiquement voire parfois ne se connaissent pas. (…)
Une importante particularité de l’offre sectaire contemporaine tient au fait que, au-delà des groupes et individus, ce sont parfois des pratiques qui unifient ces communautés. La dérive sectaire est alors invisible et peut frapper en tous lieux puisque ces communautés ne sont pas fondées sur l’autorité d’un meneur spécifique mais uniquement sur un ensemble de méthodes. Cela se confirme particulièrement dans le domaine de la santé en ce qui concerne les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique

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« Bis repetita non placent » – Analyse de la nouvelle loi sur les dérives sectaires

Son vote par le Parlement avait fait l’objet d’une procédure et de débats homériques, entre les deux chambres, mais également au sein de chaque hémicycle.

Cette loi est aujourd’hui largement décrite dans les médias comme la plus belle invention après le papier mâché, qui va enfin permettre aux pouvoirs publics de lutter efficacement contre les dérives sectaires, de faire revenir l’être aimé et de guérir les écrouelles.

Toutefois, cet optimisme de façade ne résiste pas longtemps à l’analyse juridique du texte, article par article.

Si les améliorations – accessoires – se comptent sur les doigts de la main, les errements du législateur sont nombreux – qui plus est sur des enjeux majeurs de la lutte contre les « dérives sectaires ».

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Lutte contre les sectes – Pour un changement de modèle stratégique – 5/5

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5. Pourquoi prioriser la lutte contre les organisations sectaires nuisibles

Lorsque nous avons développé le spectre des dérives sectaires, nous avons constaté que deux d’entre elles – les citoyens souverains et les groupes jihadistes – font l’objet d’un suivi par des services spécifiques de l’État. Ces deux catégories seront donc retirées de l’équation dans les prochains développements.

Les autres catégories sont susceptibles d’être suivies par les acteurs traditionnels de la lutte contre les « dérives sectaires » :‌ Miviludes, Caimades, autres services de police judiciaire, brigades de gendarmerie, Service central du renseignement territorial, Service central de renseignement criminel de la Gendarmerie nationale

Dans cette dernière partie, nous allons voir pourquoi, selon moi, ces acteurs traditionnels devraient – du moins dans un premier temps – focaliser leur action quasi-exclusivement sur les « organisations sectaires nuisibles.»

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Lutte contre les sectes – Pour un changement de modèle stratégique – 4/5

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4. (Re)définir la « secte » comme organisation sectaire nuisible

4.1. Pourquoi définir la « secte »

Au Canada, la lutte contre le crime organisé est d’abord l’œuvre d’équipes de policiers et d’analystes en renseignement criminel ayant une spécialisation sur une “souche de criminalité” (une catégorie de groupes délinquants) : crime organisé d’origine italienne, motards violents, groupes autochtones, groupes est-européens, gangs de rue, etc. Ces souches de criminalité sont clairement établies et définies.

Ainsi, pour la souche Gangs de rue, dans un article universitaire, plusieurs spécialistes rappelaient qu’une bonne définition commune du terme gang de rue :

« 1) favorise des estimations exactes des activités liées aux gangs à l’échelle nationale, provinciale et municipale ;

2) renforce notre capacité d’établir des comparaisons régionales ;

3) permet de documenter les facteurs de risque associés aux activités liées aux gangs dans des administrations précises ;

4) est utile pour documenter le montant du financement public requis pour s’attaquer aux problèmes liés aux gangs dans des administrations précises ;

5) habilite les responsables de l’application de la loi des différentes administrations à communiquer dans la même « langue » et à acquérir une compréhension commune des gangs, des membres de gang et des actes criminels liés à un gang ; et

6) rehausse la qualité des enquêtes sur les gangs auxquelles participent les services de police de différentes régions.

À cela on pourrait ajouter qu’une bonne définition opérationnelle pourrait permettre d’estimer l’effet sur ces groupes des efforts de prévention et de répression.»

Ces considérations s’appliqueraient tout autant à la lutte contre les « sectes » : combattre des organisations criminelles dont l’objet est de tromper et d’assujettir des personnes sur le fondement d’activités de nature religieuse nécessite de la part des autorités un engagement adapté. Au préalable, il faut que les forces l’ordre sachent convenablement nommer et définir l’adversaire.

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Lutte contre les sectes – Pour un changement de modèle stratégique – 3/5

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3. Le spectre des « dérives sectaires »

Derrière la notion de « dérive sectaire » se cache en réalité une multitude de groupes, de courants de pensée, de causes à défendre et d’objectifs stratégiques à atteindre.

On proposera tout d’abord une typologie de ces « dérives » (3.1.).

En nous concentrant sur quatre d’entre elles, on constatera que pour certaines, à but politique, la réponse sociale la plus adaptée consiste à recourir à des services spécialisés – et non à des institutions traditionnellement engagées dans la lutte contre les « dérives sectaires » (3.2.).

La comparaison des catégories organisations sectaires et médecines alternatives mettra en évidence les différences dans les types d’exactions commises et dans la réponse adaptée des autorités à leur encontre. Ce qui introduira l’idée d’une nécessaire priorisation de l’action des pouvoirs publics sur un type de « dérive sectaire » (3.3).

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Lutte contre les sectes – Pour un changement de modèle stratégique – 2/5


Sommaire de cette série


2. La notion de « dérive sectaire »

Les pouvoirs publics français s’inquiètent du phénomène sectaire depuis un demi-siècle. Mais ils ont longtemps été réticents à définir la « secte.»

Au tournant des années 2000, le terme « secte » est supplanté par celui de « dérive sectaire.» Cette opportune pirouette lexicale permet aux diverses administrations concernées de repousser aux calendes l’énoncé d’une définition de leur champ d’études et d’action.

C’est finalement neuf ans après sa création que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) propose une définition de son pré carré.

Mais au lieu de circonscrire son domaine de compétence, cette définition va au contraire l’étendre très largement ; et conduire ainsi les pouvoirs publics à toujours plus diluer leurs ressources et affaiblir leurs efforts dans leur lutte contre les « dérives sectaires.»

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Lutte contre les sectes – Pour un changement de modèle stratégique – 1/5



1. Un constat. Une suggestion.

C‘est un époque de pandémie, de fausses informations, de complotisme, de rejet massif du consensus scientifique et de «gourous 2.0.»

Et un terme est continuellement sur les lèvres de tous les observateurs du phénomène : la « dérive sectaire.»

Popularisée par la Mission interministérielle éponyme, cette notion est-elle bien utile dans la lutte contre ces formes d’obscurantisme ? Le modèle des « dérives sectaires » développé par ceux qui les combattent ne serait-il pas plutôt contre-productif ?

Car en englobant sous un même vocable un champ d’exactions diverses et variées, les pouvoirs publics sont induits à traiter simultanément l’intégralité du domaine des « dérives sectaires » ; ce faisant, ne diluent-ils pas leurs ressources (en temps, en argent, en personnel) – et donc leur efficacité ?

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Alain Bouchard, virtuose québécois du sophisme pro-sectaire


Le balado de Radio-Canada intitulé Dérives – le rituel de sudation est l’œuvre d’Olivier Bernard, bien connu au Québec pour ses ouvrages et émissions de vulgarisation scientifique. Sa nouvelle enquête en 8 épisodes, d’une durée totale de 5h30, nous replonge dans une affaire qui avait défrayé la chronique au Québec en 2012 : le décès de Chantal Lavigne, 35 ans, survenu suite à un rite de sudation, au cours d’un séminaire de développement personnel.

Olivier BernardCette production audio d’Olivier Bernard est le fruit d’une recherche poussée et intelligente. Depuis que je vis au Québec (15 ans), c’est la première fois que je tombe sur un travail médiatique aussi sérieux consacré aux sectes dans la province.

Toute personne intéressée de près ou de loin par la question des sectes se doit d’écouter ce programme. La démarche de vulgarisateur scientifique d’Olivier Bernard l’amène à se poser des questions essentielles et à tenter d’y répondre honnêtement et en profondeur. L’auteur choisit l’approche du candide pour embarquer l’auditeur dans son cheminement réflexif. Et c’est très efficace.

Seul bémol : dans le 7e épisode, consacré à la question de l’encadrement des pratiques sectaires, notre candide se heurte à un écueil de taille qu’il n’avait pas vu venir.

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Proposition de loi sur les thérapies de conversion sexuelle : le diable se cache dans les détails


Le 2 juin dernier, était déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale française une Proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne.

Son auteure, la députée Laurence Vanceunebrock (LREM) était déjà la co-rapporteure en 2019 d’un mission d’information de l’Assemblée sur le même thème.

Cette proposition de loi intéresse particulièrement les observateurs du phénomène sectaire, puisqu’un certain nombre de groupes religieux radicaux ont recours aux thérapies de conversion.

L’inquiétude dont se prévaut la députée est légitime. Et il ne fait guère de doute que cette proposition de loi sera entérinée par la représentation nationale. En effet, qui au Parlement pourrait cautionner de telles pratiques moyenâgeuses et refuser de voter ce texte ?

Et pourtant, la proposition pose problème ; non pas quant à la pertinence de son objectif, mais quant aux moyens qu’elle se propose d’utiliser, au nom de cet objectif.

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