Les critères de la secte utilisés par la MIVILUDES : une erreur d’interprétation des travaux de la DCRG

Pour définir ce qu’est une secte, la MIVILUDES recourt à une approche empirique : les fameux critères de dangerosité, issus des travaux de feue la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG).

Problème : cette approche repose sur une grossière erreur d’interprétation, commise par une commission parlementaire en 1995 et que personne dans la haute administration n’a jamais cherché à corriger. Autrement dit, depuis plus de quinze ans, la MIVILUDES définit la secte et la dérive sectaire de façon totalement erronée…

Dès 1996, les services du Premier Ministre français considèrent la surveillance des sectes comme une cause nationale. C’est en effet à cette date que l’Hôtel Matignon crée l’Observatoire interministériel sur les sectes. Lequel sera remplacé en 1998 par la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS), puis par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) fin 2002.

Quinze ans plus tard, force est de constater que cette dernière n’a jamais été capable de tenir son rang. La lecture du dernier rapport annuel de la MIVILUDES m’a une nouvelle fois plongé dans des abimes de consternation. Les raisons de se lamenter ne manquent pas. Il serait présomptueux de prétendre toutes les expliquer ici. Toutefois, il est assez facile de donner au lecteur une idée de l’ampleur du problème.

Deux points permettent d’expliquer les errements de la MIVILUDES :

  • sa définition de la secte puis de la dérive sectaire, axée uniquement sur la sujétion physique ou psychologique, conformément aux termes de l’article 223-15-2 du Code pénal ;
  • son utilisation des fameux critères de dangerosité afin de qualifier de sectes les groupes qu’elle surveille. C’est à ce second point que nous nous intéresserons ici.

En recourant à ce faisceau d’indices comme critères de sectarisme (1.), la MIVILUDES commet depuis des lustres une erreur fondamentale. Ce sont en réalité des critères… de dangerosité (2.). Et ça fait une grosse différence.

1. Le concept des critères sectaires

Notre histoire commence en décembre 1995, avec la présentation à l’Assemblée nationale du rapport parlementaire Les sectes en France, qui répertorie 173 mouvements qualifiés de sectes.

Qu’est-ce qu’une secte selon la Commission ? Bonne question. Les parlementaires eux-mêmes se refusant à donner une définition. Et surtout pas une définition en droit :

On conçoit dès lors l’impossibilité juridique de définir les critères permettant de définir les formes sociales que peut revêtir l’exercice d’une croyance religieuse, a fortiori de distinguer une Eglise d’une secte.

Ce qui est FAUX. On peut tout-à-fait définir juridiquement la ″secte nocive″ (ce que j’ai fait dans ma thèse de doctorat, p. 6 s.), même si l’on ne doit PAS la définir légalement (ce qu’a fait malencontreusement la loi du 12 juin 2001, mais je m’égare…). La distinction est subtile mais essentielle.

La Commission n’entendait donc pas définir initialement le sujet de son étude. Elle préférait le borner empiriquement, en se basant sur un ensemble de critères permettant de déterminer si un mouvement devait être ou non qualifié de secte :

Parmi les indices permettant de supposer l’éventuelle réalité de soupçons conduisant à qualifier de secte un mouvement se présentant comme religieux, elle a retenu, faisant siens les critères utilisés par les Renseignements généraux dans les analyses du phénomène sectaire auxquelles procède ce service et qui ont été portées à la connaissance de la Commission :

  • – la déstabilisation mentale ;
  • – le caractère exorbitant des exigences financières ;
  • – la rupture induite avec l’environnement d’origine ;
  • – les atteintes à l’intégrité physique ;
  • – l’embrigadement des enfants ;
  • – le discours plus ou moins anti-social;
  • – les troubles à l’ordre public ;
  • – l’importance des démêlés judiciaires ;
  • – l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels ;
  • – les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.

Ainsi, pour la Commission parlementaire, la qualification de secte se faisait à l’aune de dix critères élaborés par la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) et connus sous l’appellation de critères de dangerosité. Dans un autre rapport parlementaire, intitulé Les sectes et l’argent (1999), ils seront également dénommés critères sectaires.

Cette approche pragmatique de la Commission va toutefois révéler rapidement ses limites : relever au sein d’un groupe l’existence d’un seul critère pouvait suffire à le qualifier de secte. La faille était béante. Les universitaires pro-sectaires ne tardèrent pas à s’y engouffrer. À l’image du juriste Philippe Gast :

[T]out en reconnaissant qu’il n’est pas possible de trouver une définition du mot secte, ce rapport a pourtant défini 10 critères caractérisant une secte (si on ne sait pas ce qu’est une secte, comment en déduire 10 critères, surtout quand un seul de ces critères permet la qualification de secte ?!

Pourtant, l’approche de la Commission parlementaire sera reprise par la MIVILUDES. Ainsi, dès 2004, dans son Guide de l’agent public face aux dérives sectaires, la Mission interministérielle énonçaitp. 13-14. C’est moi qui souligne :

Dans l’exercice de leur mission de vigilance et de lutte contre les agissements sectaires, les administrations, au-delà de la liste des mouvements sectaires cités dans les rapports parlementaires, accordent une place déterminante aux critères de dangerosité retenus par la commission d’enquête parlementaire de 1995 :

. la déstabilisation mentale
. le caractère exorbitant des exigences financières
. la rupture avec l’environnement d’origine
. l’existence d’atteintes à l’intégrité physique
. l’embrigadement des enfants,
[.] le discours antisocial,
[.] les troubles à l’ordre public
. l’importance des démêlés judiciaires
. l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels
. les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.

La multiplicité des critères de dangerosité retenus témoigne du souci de cerner avec précision la réalité du risque sectaire. Tous les mouvements n’ont pas, en effet, les mêmes caractéristiques. Tous ces critères n’ont pas, non plus, la même valeur probatoire ni la même capacité à rendre compte spécifiquement du risque. Le discours antisocial, les démêlés judiciaires ou les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics ne sont pas le fait des seuls groupes sectaires.
La déstabilisation mentale, la rupture avec les environnements d’origine, l’abus de faiblesse résultant d’une sujétion physique ou psychologique, l’embrigadement des enfants ou leur enfermement dans des principes éducatifs désocialisants, apparaissent en revanche au cœur de la notion de dérive sectaire.
En tout état de cause, un seul critère ne peut suffire à caractériser un mouvement, il convient de croiser plusieurs de ces critères.

L’utilisation de ces mêmes dix critères pour identifier une secte ou une dérive sectaire est un élément central de la stratégie de la MIVILUDES, comme on peut le constater dans plusieurs de ses publications, notamment :

À partir de 2011, la Mission a tenté de dégager une définitionp. 25 de la dérive sectaire :

Une dérive sectaire est un dévoiement de la liberté de pensée, de conscience ou de religion, induit par un groupement organisé ou une personne isolée et qui se caractérise essentiellement par une sujétion physique ou psychologique exercée sur les personnes pour les conduire à des actes ou des abstentions qui leur sont gravement préjudiciables.

Cette définition se base malencontreusement sur la sujétion de la victime et non sur l’assujettissement par le délinquant. Mais c’est une autre histoire…

Mais il appert des diverses publications de la MIVILUDES que cette définition est purement sémantique. Elle demeure entièrement subordonnée aux critères de dangerosité : selon la Mission, pour qualifier un groupement de secte, il convient encore et toujours de se baser sur les dix critères, puisque c’est précisément à cette fin que la DCRG les a développés.

Seulement voilà : la MIVILUDES se trompe.

2. Des critères de… dangerosité

Si je me permets d’être aussi péremptoire, c’est parce que j’ai travaillé durant plusieurs années au groupe Cultes et sectes de la DCRG, dans un bureau collectif, sis au 5e étage, sous les toits du Ministère de l’intérieur, à Paris. Or, c’est précisément dans ce bureau qu’ont été développés les dix fameux critères de dangerosité.

Pour les occupants dudit bureau, il ne s’agissait pas là de « critères sectaires », servant à qualifier un groupe de secte. Ces « critères de dangerosité » étaient des critères… de dangerosité. Ils avaient été développés afin d’évaluer et de comparer la dangerosité respective de groupes qui étaient déjà considérés comme des sectes nocives.

La meilleure illustration de cet objectif apparut de façon évidente dans un document de synthèse réalisé par notre groupe, consacré à la quarantaine de sectes que nous estimions les plus dangereuses. En annexe du document figurait notamment un tableau comparatif de la dangerosité de ces mouvements.

Pour chaque groupe, nous avions relevé les critères de dangerosité identifiés, parmi :

  • les cinq premiers critères de la liste, relatifs aux atteintes aux individus (représentés par des carrés rouges),
  • les cinq critères suivants, relatifs aux atteintes à la société (représentés par des carrés bleus).

Chaque carré portait également une icône permettant d’identifier visuellement le critère concerné.

Nous avions coté les mouvements sectairesAppellations fictives de la manière suivante  :

Cela ne voulait pas dire que nous considérions désormais ces groupes comme des sectes nocives parce que nous avions relevé ces critères à leur encontre. NON. Cela signifiait que :

  1. nous les considérions déjà auparavant comme des sectes nocives ;
  2. l’Église de Fibromyalgie et l’Ordre de la Cathédrale céleste présentaient l’une comme l’autre une dangerosité supérieure à la Fraternité de la Loi de Murphy ;
  3. une organisation qui n’aurait totalisé que deux critères n’aurait pas figuré dans notre synthèse ; cela ne signifiait pas pour autant que nous ne la considérions pas comme une secte nocive (nous travaillions dessus parce que nous la considérions comme telle) mais sa dangerosité n’était pas assez élevée pour que nous estimions devoir la placer dans notre synthèse des mouvements sectaires les plus dangereux.

Les véritables critères sectaires de la DCRG, utilisés pour qualifier un groupe de secte, n’ont jamais été divulgués.

Depuis 1995, les pouvoirs publics se sont donc fourvoyé dans leur définition de la secte. Et ce n’est pas faute pour la DCRG d’avoir tenté de leur expliquer la bévue !

Et voilà plus de quinze ans que la MIVILUDES travaille sur un sujet qu’elle n’a jamais correctement circonscrit. C’est tout dire.

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.