Si les églises de scientologie ne doivent pas bénéficier d’éxonération de taxes foncières, ce n’est pas parce qu’elles font des profits ; ni parce qu’une telle exonération viole le principe de laïcité. Mais parce que ces églises ne respectent pas la loi pénale. Mais encore faut-il se donner la peine de les poursuivre en justice pour les faire condamner.
La semaine dernière, un éditorialiste de La Presse, Paul Journet, revenait sur la question des exemptions fiscales de l’Église de scientologie au Canada, et notamment au Québec.
Il faisait écho à une récente série d’articles parue conjointement dans le journal Les Affaires et le quotidien gratuit Métro. Il y était question du patrimoine immobilier de l’église controversée et, en particulier, des taxes foncières municipales impayées de son antenne montréalaise.
Cette dernière a en effet acheté, en 2007, un bâtiment cossu (cf. ci-dessous), sis rue Ste-Catherine Ouest. Toutefois, depuis cette date, les travaux d’aménagement de l’édifice sont toujours au point mort.
Or, l’exonération de taxe foncière municipale ne s’applique aux édifices religieux que s’ils abritent des activités… religieuses. Et, depuis l’achat du bâtiment, cela n’est évidemment pas le cas. De fait, au bout de huit ans, la scientologie montréalaise accuse une ardoise de 117.000 $ en taxes foncières municipales pour ce seul bâtiment.
Le journaliste Paul Journet synthétise bien la problématique pour les édifices de scientologie au Québec – en l’occurrence à Montréal :
La stratégie d’expansion des scientologues piétine. Mais ce serait pire sans l’aide de l’État. Car si l’édifice devient occupé, il sera exempté de taxes municipales. Tout comme en sont déjà exemptés deux édifices, celui de Québec et l’autre à Montréal, rue Papineau. Cette année seulement, le rabais s’élève à environ 180 000 dollars.
Selon l’éditorialiste, le système municipal d’exonération fiscale pour raisons religieuses est une mauvaise chose. Pour y remédier, il énonce deux solutions – malheureusement inadéquates.
1 – Supprimer les exemptions fiscales des églises qui font des profits ?
M. Journet propose tout d’abord de s’inspirer de la loi sur les compagnies : si une organisation religieuse fait des profits, elle ne devrait pas être exonérée de taxe foncière. L’éditorialiste estime toutefois que cette option ne serait pas applicable, car l’intention pécuniaire serait difficile à prouver.
Personnellement, j’estime que si cette option ne tient pas, c’est plus simplement parce qu’elle n’est pas pertinente. Elle est le reflet d’une morale bien catholique selon laquelle « l’argent, c’est sale.»
Pourquoi une église ne pourrait-elle pas vendre l’élévation spirituelle ? Pourquoi une église devrait-elle être pauvre ? À la vue des ors du Vatican, doit-on considérer que l’Église catholique n’est pas une église ? Et supprimer de facto l’exonération de taxe foncière pour ses bâtiments ?
Si une église veut se développer, elle a besoin de s’organiser, de délivrer des produits et des services, de faire du prosélytisme. Tout cela a un coût. Oui, une église, cela peut être aussi une entreprise. Laquelle doit pouvoir également choisir de redistribuer ses bénéfices ou de les réinvestir – en tout ou partie.
Cela dit, une église qui fait des profits doit accepter de payer des impôts sur le revenu. Mais, en raison de sa nature religieuse, elle pourrait être exonérée de taxes foncières – voire ne pas payer d’impôts sur les dons et legs – comme d’autres organisations (laïques) oeuvrant pour le bien commun.
2 – Supprimer l’exonération de taxe foncière de toutes les organisations religieuses ?
Paul Journet évoque une autre possibilité : modifier la loi sur l’exemption de taxe foncière et refuser cette exonération à toutes les organisations religieuses. Pour le journaliste, ce cadeau fiscal contrevient à la laïcité.
Avant de chercher à modifier la Loi, essayons déjà de la faire respecter.
- reviendrait à signer leur arrêt de mort. Ce qui n’est dans l’intérêt de personne (ni des individus qu’elles aident, ni de l’État, ni des contribuables).
- constituerait une discrimination, car l’exonération serait maintenue pour les organismes laïcs ayant les mêmes activités d’aide à la communauté.
M. Journet reconnait les limites de sa proposition mais semble y voir un mal pour un bien. Et la suite de son raisonnement n’est pas davantage tenable :
L’abolition de cette aide inquièterait particulièrement l’église catholique, indissociable de notre histoire, qui peine à entretenir ses édifices. Peut-être que l’argent économisé en taxes pourrait être réinvesti pour les restaurer, en fonction de critères basés sur la valeur patrimoniale.»
J’y vois trois failles :
- Croire que l’argent économisé par la Ville va aller à la restauration des églises s’apparente selon moi à de la naïveté.
- Pour que cet argent économisé par la Ville puisse être affecté à la restauration ou l’entretien des édifices ecclésiastiques catholiques, encore faudrait-il que lesdits édifices appartiennent à la Ville. Car dans le cas contraire, ce transfert de fonds s’appelle une subvention. Et une subvention versée uniquement aux propriétaires d’édifices dédiés à une seule religion bien spécifique, c’est tout aussi contraire à la laïcité.
- Si l’on considère la valeur patrimoniale de ces bâtiments d’église, il faudrait alors ne pas faire de distinction entre les églises appartenant encore à l’Église catholique et celles possédées par des personnes privées. Mais allouer des fonds publics pour entretenir les croisées d’ogive et les clochers d’un complexe de condos ou d’un club de remise en forme, cela risque de faire désordre…
Il existe une troisième option – et elle fonctionnerait… pour peu que l’on s’y mette.
Pour en finir avec les exonérations fiscales des églises de scientologie, il faut au contraire s’éloigner de toute considération religieuse. Après tout, que reproche-t-on vraiment aux églises de scientologie ? De tarifer la quête spirituelle ? De ne pas payer de taxes municipales sur leurs édifices à but religieux ?
Non. Ce qu’on leur reproche, ce sont certaines de leurs activités qui seraient contraires au droit. Et plus particulièrement au droit criminel.
Paul Journet le reconnait lui-même dans son article. Pourquoi dans ce cas n’en tire-t-il aucune conclusion ?
On pourrait soutenir que la scientologie ou d’autres sectes servent à soutirer de l’argent à leurs membres. Mais la démonstration serait complexe, et risquerait de coûter cher en frais juridiques.
Allons bon ! Oui, faire condamner un délinquant, ça peut être complexe, ça peut couter cher en frais de justice. Mais (attention, percée conceptuelle) ça s’appelle « la Justice.»
Doit-on vraiment abdiquer devant les circonvolutions kafkaïennes du système judiciaire nord-américain ? Doit-on se rabattre, de guerre lasse, vers les députés pour faire changer la loi ?
Et si la nouvelle loi modifiée n’est pas respectée, que faire ? Aller en justice ?
Ben voyons donc, vous n’y pensez pas ! Ça couterait cher en frais de justice. Non, on changera de nouveau la loi. CQFD.
Avant de chercher à modifier la Loi, essayons déjà de la faire respecter.
J’ai pour ma part davantage confiance en les cogitations d’un juge qu’en l’opportunisme d’un politicien (fût-il député).
Alors oui, faire condamner un délinquant, ça prendra du temps, ça coûtera de l’argent. Mais au bout du compte, le fisc disposera de « critères simples, clairs et prévisibles » : une église condamnée pour des infractions pénales n’agit pas pour le bien commun. Donc, en plus d’écoper de sanctions pénales, elle ne bénéficiera d’aucune exonération fiscale.
Et de grâce, arrêtez avec ce débat stérile et contreproductif sur la définition de la secte versus celle de l’église.
Contrairement à ce que laisse entendre le titre de l’article de Paul Journet, l’important n’est pas d’avoir « le courage de nommer » la secte. Il s’agit d’avoir « le courage de la poursuivre en justice » pour la faire condamner.
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À propos de Arnaud Palisson
Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.
Bonjour M. Palisson,
Merci pour ce texte très éclairant.
Pour en avoir discuté, voilà quelques années, avec un policier québécois, selon lui, pour poursuivre au criminel une organisation comme la scientologie, il faut non seulement qu’une plainte soit déposée mais il faut aussi prouver que les scientologues utilisent un «leurre». Il ne m’en a pas dit plus.
Je ne suis ni avocat ni policier et je ne sais pas si vous êtes familier avec les droit criminel canadien, mais croyez-vous qu’il est possible de faire condamner la scientologie comme organisation criminelle?
Je suivrai avec intérêt le procès belge prévu à partir d’octobre. J’ai cru comprendre que les juges d’instruction belges utilisaient aussi votre thèse?
Bien à vous
Bonjour et merci de votre commentaire.
Je ne suis pas vraiment familier avec le droit pénal canadien. L’approche légale et jurisprudentielle française est très différente (et – je pense – nettement plus claire…).
Il n’y a qu’à lire les articles 361 et 362 du Code criminel canadien sur l’escroquerie (http://bit.ly/1QqE75X), et les comparer avec les articles 313-1 et suivants du Code pénal français (http://bit.ly/1UJbPnF) sur la même qualification : le fossé entre les deux conceptions est manifeste (et un peu effrayant… mais c’est un point de vue personnel).
Pour ce qui est de la qualification pénale d’organisation criminelle, si l’on se fie à l’article 476-1 du code criminel canadien (http://bit.ly/1XPFJuR), je ne vois vraiment pas (en tout cas, sur le papier…) ce qui empêcherait de poursuivre et de faire condamner une église de scientologie en tant qu’organisation criminelle.
Maintenant, en pratique, cela risque d’être autrement plus compliqué…
Enfin, concernant l’utilisation de ma thèse par la justice belge, vous avez bien compris. Je n’en dis pas plus car ce blogue étant sous surveillance des qui-vous-savez, je m’en voudrais que ceux-ci utilisent de nouveau ce que j’écris ici pour tenter de faire tomber une procédure, comme ils ont déjà tenté de le faire en 2012 : http://wp.me/p2H5l9-A9.
Cordialement.