Pour lutter efficacement contre les risques de sureté, encore faut-il bien comprendre leurs différentes natures. Si, dans l’aviation civile, on persiste à mettre en avant le terrorisme, c’est au détriment d’autres dangers autrement plus fréquents.
Le 25 avril dernier, l’aéroport de Mumbai (Inde) a été le théâtre d’un incident très remarqué… après coup. Un voyageur du nom de Liju Verghese, a débarqué d’un vol international ; il est passé par un point de contrôle des passagers, afin d’aller prendre sa correspondance pour un vol intérieur vers la ville de Nagpur.
C’est après que tout est parti en vrille.
- l’homme est monté à bord de l’avion sans que sa carte d’embarquement ne soit vérifiée (il l’avait d’ailleurs oubliée dans un sac, laissé en salle d’attente).
- Par ailleurs, les agents au comptoir d’embarquement de la compagnie Jet Airways n’ont pas effectué le passenger reconciliation, qui consiste à déterminer le nombre de personnes passées par eux et à le comparer au nombre de personnes précédemment enregistrées sur le vol via les comptoirs d’enregistrement.
- Enfin, le personnel navigant en cabine n’a pas effectué le head count, c’est à dire qu’avant le décollage, l’hôtesse n’a pas parcouru l’allée de l’avion en comptant un par un les passagers présents, puis comparé ce nombre à celui inscrit sur le manifeste de vol.
De fait, l’avion a décollé avec un passager de trop, sans que personne ne s’en aperçoive. Et personne n’en aurait jamais rien su si, une fois arrivé destination, Liju Verghese ne s’était pas plaint à la compagnie aérienne : alors qu’il pensait être arrivé à Nagpur (État du Maharashtra), il avait en fait atterri environ 1000 km trop à l’ouest, à l’aéroport de Rajkot (État du Gujarat). En effet, à Mumbai, l’homme avait embarqué dans le mauvais avion !
Selon la presse internationale, ce non-respect des procédures successives constitue « un grave bris de sureté », « un très grave incident du point de vue de la sureté » ou encore « une très lourde erreur de sureté »
Mais de quel type de bris de sureté parle-t-on ici ? Et ce risque est-il aussi important que l’on veut nous le faire accroire ?
Nous verrons que le risque terroriste, bien que le plus évident de prime abord, s’avère minime (1). On constatera ensuite que le risque criminel n’est guère plus élevé (2). En revanche, on se désolera, une fois de plus, que le risque de sureté le plus important en l’espèce, le passager psychologiquement perturbé, ait été complètement occulté (3)…
1 – Le risque terroriste : évident… mais minime
Le risque terroriste semble évident : en effet, en présence d’un passager sans carte d’embarquement, on peut imaginer que ce dernier n’est pas passé par le guichet d’enregistrement de la compagnie aérienne et n’a donc pas fait l’objet d’une vérification de son identité dans les bases de données gouvernementales – notamment, dans certains pays, la fameuse No-Fly List.
Toutefois, avant d’embarquer, le passager est passé par un point de contrôle des passagers, censé détecter des objets dangereux. Dès qu’il a été ainsi contrôlé, par des moyens humains et – surtout – technologiques, le voyageur est réputé ne plus présenter de menace et il peut pénétrer dans la jetée.
Dans le cas qui nous intéresse, après avoir débarqué à Mumbai, notre distrait passager a passé un point de contrôle avant d’entrer dans la jetée domestique. Liju Verghese est alors semblable aux centaines de personnes autour de lui : il est considéré ne pas représenter une menace pour l’aviation civile – du moins pas plus que les autres. Dès lors, qu’importe s’il embarque sur un vol ou sur un autre.
Et s’il avait un complice à l’interne ?
On rétorquera légitimement que, du point de vue des autorités, l’homme pourrait être un terroriste, porteur d’une bombe, ayant bénéficié d’une complicité à l’interne : un employé de l’aéroport aurait pu le faire entrer discrètement dans la jetée par un point d’accès des non-passagers, à l’aide de sa carte ou de son code d’accès (selon le système de contrôle utilisé à l’aéroport).
Cela dit, c’est fort peu probable. En effet, le contrôle des cartes d’embarquement est une procédure obligatoire. Et même si elle est parfois négligée sur les vols intérieurs indiens, elle demeure trop fréquente pour qu’un terroriste puisse espérer bénéficier de cette faille.
Pour qu’un éventuel terroriste passe inaperçu lors de cette phase de contrôle, il lui faudrait :
- s’enregistrer au comptoir de la compagnie aérienne pour récupérer sa carte d’embarquement,
- passer dans la jetée par le point d’accès des employés, à l’aide de son complice,
- présenter sa carte d’embarquement et monter ainsi à bord de l’avion, sans éveiller les soupçons.
Même si la procédure est parfois négligée sur les vols intérieurs indiens, elle demeure trop fréquente pour qu’un terroriste puisse espérer bénéficier de cette faille.
De plus, en Inde, la carte d’embarquement est estampillée par les agents de sureté au point de contrôle des passagers, afin d’assurer les préposés à l’embarquement que le passager a bien été contrôlé. Dès lors, à moins d’imaginer que le complice du terroriste se soit procuré le tampon officiel ad hoc (ça commence à faire beaucoup de « si »), ce mode opératoire me parait fort peu probable.
De fait, dans l’histoire de notre passager distrait de l’aéroport de Mumbai, le risque terroriste ne peut certes pas être négligé, mais il me paraît minime.
2 – Le risque criminel : possible mais peu probable
Les trois contrôles que sont censés effectuer les agents de la compagnie aérienne pendant et après l’embarquement permettent de lutter contre certaines formes de criminalité ; notamment l’immigration clandestine et le trafic d’êtres humains.
On s’entendra pour dire que l’avion est un moyen de transport qui présente un grand intérêt dans les trafics à l’international puisqu’il permet de franchir rapidement des frontières.
Or, les liaisons Mumbai-Rajkot et Mumbai-Nagpur sont des vols intérieurs.
On pourrait imaginer que de tels trafics puissent avoir lieu si la législation criminelle différait d’un État indien à un autre. Mais il n’en est rien puisque le Code pénal indien est de compétence fédérale et s’applique sur tout le terriroire de l’Union (à l’exception de l’État de Jammu-et-Cachemire).
Quoi qu’il en soit, la sureté du vol en tant que telle n’est pas menacée par les activités des trafiquants. Lesquels, comme tous les autres passagers, espèrent que le vol arrivera sans encombre à destination. Dans le cas qui nous intéresse ici, à moins d’une complicité de la part d’un employé de la compagnie aérienne, le risque criminel m’apparait donc comme faible.
3 – Le passager psychologiquement perturbé
Un voyageur en état d’ébriété avant même d’embarquer devrait être surveillé comme le lait sur le feu.
La colossale erreur de sureté réside, selon moi, dans le fait que ces mêmes agents de la compagnie aérienne ont bien remarqué que Liju Verghese était en état d’ébriété et qu’ils n’ont pris aucune mesure pour s’assurer que le passager ne poserait pas de problème.
Un passager ivre, business as usual ? Et bien non, précisément.
Et il n’y a pas à regarder bien loin pour constater les conséquences d’un passager psychologiquement instable. Les exemples sont légion. Par exemple, le même jour que l’incident de Mumbai, sur un vol de Virgin Australia entre Brisbane et Bali (Indonésie), un jeune Australien en manque de médicaments a tambouriné à la porte du cockpit, qu’il avait confondue avec la porte des toilettes… L’anecdote prête à sourire. Sauf que, de l’autre côté de la porte renforcée, le pilote a déclenché l’alarme « détournement », dont ont découlé d’importantes mesures opérationnelles en vol et au sol. Débauche de moyens techniques et de ressources humaines, retards divers et variés. Au final, qui paie la note ? Le contribuable et/ou le passager.
J’ai déjà écrit ici-même sur ce fléau que constitue la personne psychologiquement perturbée. Il s’agit ni plus ni moins que du principal risque de sureté dans les avions de transport de passagers. Dans ce contexte, un voyageur en état d’ébriété avant même d’embarquer devrait être surveillé comme le lait sur le feu.
À l’aéroport de Mumbai, toute cette affaire aurait pu être évitée si les agents de Jet Airways avaient fait preuve d’un minimum de bon sens : en s’intéressant d’un peu plus près à un passager éméché, ils se seraient aperçus que Liju Verghese se trompait d’avion. C’est aussi cela l’évaluation comportementale de la menace.
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À propos de Arnaud Palisson
Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.
Votre article pose le problème des limites de la Sûreté dans les aéroports , et plus particulièrement de ce qui est de la détection des voyageurs à risque.
On voit de plus en plus dans certains aéroports , qu’ on a mis en place une surveillance ciblée visant les individus entre 16 et 65 ans ayant acheter un aller simple en espèce et de nationalité « sensible » issues de certaines régions du monde réputées … etc…). et ceci par la technique de l’évaluation comportementale … Mais , là aussi ,on peut être sur une corde raide avec les problèmes de droits de l’ homme
En fin de compte, si c’est cette option qui est retenue , on irait probablement vers une évaluer du risque en fonction de la menace et en considerant la probabilite que l’evenement survienne, et que son incidence eventuelle offrira la la possibilite de reduire ledit risque.
Une thèse se dégage pourtant : une bonne gestion des risques est une question d’intelligence, c’est-à-dire qu’elle dépend d’une orientation volontariste vers toujours plus d’intelligence, de compréhension des risques. C’est ce qu’on appelle la culture de la vigilance
À cet égard , J’ai compris qu’ il était important de noter que la sûreté est une notion qui ne peut pas s’analyser de manière statique : et que , c’est l’existence d’une chaine logistique sûre pour chaque flux d’entrée et de sortie d’un avion, qui peut faire que la sûreté soit assurée . On dira donc que dans le contexte de grande liberté et et la responsabilité sécuritaire que nous vivons , LE RISQUE N’EST PLUS UNE AFFAIRE DE SPÉCIALISTES, MAIS L’OBJET DE LA VIGILANCE DE TOUS