La loi américaine sur les armes à feu indétectables rate sa cible | 3/3

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3ème partie – Une loi qui aggrave la situation

Aviation civileL‘enfer est pavé de bonnes intentions. Si l’on ne peut être contre la vertu, il faut tout de même constater que la loi de 1988 sur les armes indétectables fait, au final, plus de mal que de bien.

Un terroriste tente de passer dans un avion avec une bombe cachée dans une de ses chaussures ? Dès lors, dans les aéroports, on passe tous les souliers au scanneur à bagage de cabine.

Un terroriste dissimule une charge explosive dans ses sous-vêtements et réussit à l’introduire dans un avion de ligne ? On installe dans les aéroports des scanneurs corporels.

Un groupe terroriste identifié planifie de passer clandestinement des explosifs liquides à bord d’aéronefs ? On instaure dans tous les aéroports un volume limite de liquides, aérosols et gels autorisé en cabine des avions.

Mais la simple possibilité qu’un individu lambda puisse – éventuellement, dans ses rêves les plus fous – tenter de monter à bord une arme à feu en plastique et la réponse des pouvoirs publics est sans appel : on interdit la simple possession de telles armes partout sur le territoire des États-unis d’Amérique.

CongressCette volonté indéfectible de s’attaquer aux symptômes plutôt qu’à la maladie prouve toujours davantage l’incompréhension majeure des parlementaires quant aux problèmes de sureté. Après tout, on a l’habitude de voir les autorités américaines surréagir en s’attaquant à chaque mode opératoire pris séparément – au lieu de privilégier une approche globale.

Mais ici, c’est surtout l’ampleur de l’interdiction de la loi de 1988 qui surprend et inquiète. Ce texte radical permet aux pouvoirs publics américains de se voiler la face. Tout d’abord parce ce qu’il n’aura aucun effet dissuasif sur les personnes présentant une réelle menace pour l’aviation civile (3.1). Ensuite parce que la portée de la loi nie le fait que d’autres armes légales aux États-Unis sont bien plus dangereuses que des pistolets imprimés en 3D (3.2). Enfin parce qu’elle donne une illusion trompeuse de sûreté qui légitime l’immobilisme des autorités (3.3).

3.1 – Une dissuasion nulle

Le but de la loi de 1988 est de s’assurer que les armes indétectables ne puissent pas être embarquées dans la cabine d’un avion de transport commercial de passagers. Or, les armes indétectables étant… indétectables, elles ne peuvent pas être interceptées avant de parvenir sur le lieu du crime. La loi ne peut donc compter que sur son effet dissuasif. Lequel frôle le zéro pointé.

J’illustrerai mon propos par une comparaison avec la contrebande de drogues par des passeurs dissimulant les substances prohibées dans leurs cavités naturelles. Ainsi, pour maximiser chaque passage de frontière, les « mules » transportent souvent de grandes quantités de drogues d’un pays à l’autre. La drogue est répartie en boulettes de quelques grammes enfermées dans des préservatifs. Ceux-ci sont dissimulés dans les cavités naturelles du passeur par ingestion, ou par insertion rectale/vaginale.

Afin de lutter efficacement contre ce mode opératoire, les autorités ont plusieurs options. Elles peuvent, par exemple, implanter des solutions technologiques de détection aux frontières ou accroître les ressources des services de renseignement.

Mais imaginons que ces mêmes autorités décident finalement de voter une loi qui interdit la simple possession… de préservatifs ; et ce, sur tout le territoire.

Les armes indétectables étant… indétectables, (…) la loi ne peut donc compter que sur son effet dissuasif. Lequel frôle le zéro pointé.

Cette mesure n’aurait aucun effet dissuasif. Non pas parce qu’elle est ridicule en soi. Mais parce qu’elle n’opposerait aucune résistance au malfaisant. En effet, la crainte de la lourde sanction pour trafic de drogues n’empêche pas la « mule » de passer à l’acte. Pourquoi la sanction comparativement bien moindre pour possession de préservatifs la dissuaderait-elle ?

De même, qui peut croire sérieusement qu’un terroriste ou un criminel déterminé va être effrayé par cette interdiction des armes à feu en plastique ? Rappelons qu’il est mondialement interdit de monter des bombes dans les avions. Cela n’a pas empêché Abdel Basit, Richard Reid, Umar Farouk Abdul Muttalab et bien d’autres de le faire et de tenter ainsi de détruire des aéronefs en plein vol…

3.2 – Une arme à feu en plastique est nettement moins dangereuse que d’autres armes légales

L’arme indétectable cristallise un fantasme : elle pourrait être plus facilement utilisée pour commettre un attentat dans des lieux protégés. C’est oublier un peu vite que le but premier du terroriste n’est pas de mener une attaque dans un lieu difficile d’accès. Mais bien de terroriser la population. Et les deux vont parfaitement l’un sans l’autre.

Dès lors, il n’est plus besoin de convoquer de soi-disant intolérables armes à feu en plastique à un coup. Quand il s’agit de commettre un massacre, d’autres armes – que l’on peut se procurer légalement en Amérique du Nord – font bien mieux l’affaire.

Les armes à feu traditionnelles

La loi de 1988 cherche à éviter qu’un terroriste monte l’arme imprimée en 3D dans un avion pour y commettre un attentat. Mais à l’heure actuelle, quel serait l’impact d’un tel acte ?

Depuis les attentats du 11-Septembre, les avions de ligne ont vu la porte de leur cockpit renforcée. De fait, une arme à feu ne peut plus guère être utilisée pour détourner un avion et – éventuellement – l’écraser sur une cible au sol. Dès lors, l’arme à feu n’est plus un moyen de s’emparer de l’avion et d’en faire une arme de destruction massive. Que ce soit dans l’avion ou à l’aéroport, le nombre de victimes potentielles sera fonction de la fiabilité de l’arme et de la quantité de munitions dont dispose le tireur.

Certains modèles peuvent aujourd’hui tirer plusieurs cartouches – avant de devenir inutilisables. Pour le modèle utilisé dans la vidéo ci-dessous, le temps de rechargement est de l’ordre de 20 secondes. Autant dire une éternité pour un terroriste face à des passagers qui ont tiré la leçon du vol United Airlines 93.

Bref, si l’arme peut tuer, elle ne tuera qu’une seule fois. On rétorquera que c’est toujours une de trop. Certes, mais si le but du terroriste est de tuer des passagers (pour viser une compagnie aérienne ou un pays particulier, par exemple), il y a des façons de le faire autrement plus efficaces et plus terrorisantes que de monter un pistolet en plastique à un coup à bord d’un aéronef.

Oublions donc un instant les avions et revenons sur le plancher des vaches, à l’aéroport. Et visionnons ci-dessous une scène fameuse du jeu vidéo Call of Duty – Modern Warfare 2. La séquence – violente – se déroule dans un fictif aéroport moscovite, mais elle met parfaitement en lumière l’hypocrisie de la loi américaine de 1988.

Dans cet extrait, notez que, au moment où les terroristes passent dans les portiques de détection (à 50″), les alarmes retentissent. Les armes utilisées sont bien détectables. Mais il n’y a plus personne pour empêcher les tueurs d’entrer en zone réglementée et de continuer le massacre…

L’un des problèmes que soulève cette vidéo, c’est qu’il est relativement aisé, pour une organisation terroriste/criminelle, de se procurer une arme à feu à répétition. Entre les mains d’une personne déterminée à attaquer dans un aéroport, elle s’avère redoutable.

Et pas seulement sur Xbox ou PlayStation. J’en veux pour preuve la fusillade survenue – dans le monde réel – le 1er novembre dernier à l’aéroport international de Los Angeles. Un homme, armé d’un fusil semi-automatique avec cinq chargeurs de 30 munitions, s’est dirigé vers le point de contrôle passagers et a ouvert le feu sur les agents de la TSA – l’un d’eux en est mort. Plus personne désormais ne barrait la route au tireur actif. Lequel est donc passé sans encombre dans la jetée aéroportuaire – en zone réglementée ! Ce jour-là, si l’on n’a pas assisté à un massacre, ce n’est clairement pas grâce à la tardive intervention de la police. Mais parce que l’assaillant ne voulait s’en prendre qu’à des agents de la TSA…

Smith & Wesson M&P 15, modèle d'arme utilisée par Paul Ciancia lors de la fusillade à l'aéroport international de Los Angeles le 1er novembre 2013

Notons au passage que passer une arme à feu en zone réglementée est interdit. Cela n’a pas pour autant dissuadé l’assaillant de passer outre : il venait pour tuer des agents de la TSA – malgré la lourde sanction du meurtre dans le code fédéral américain.

Mais l’hypocrisie ne s’arrête pas là. En effet, aux États-Unis, les détenteurs d’armes à feu bénéficient d’une dangereuse complaisance dont on connait les ravages (Columbine, Virginia Tech, Aurora,…).

Ainsi, aux points de contrôle préembarquement des aéroports américains, la TSA saisit chaque semaine des dizaines d’armes à feu traditionnelles semi-automatiques. Pire encore :

  • la plupart sont chargées (c’est à dire qu’un chargeur contenant des cartouches est engagé dans l’arme) ;
  • une forte proportion d’entre elles ont même une cartouche chambrée, c’est à dire qu’une munition est déjà insérée dans la chambre, prête à être tirée.

Pour se faire une idée de l’ampleur du phénomène, on pourra se référer aux statistiques de la Transportation Security Administration (TSA) pour la seule semaine du 4 au 10 avril dernier.

Que se passe-t-il lorsqu’un passager américain est pris à vouloir passer une arme dans son bagage de cabine ? Dès lors qu’il la détient légalement, il lui suffit de répondre qu’il a oublié l’arme dans son sac avant de partir. Et là, le casse-tête administratif commence. Faut-il retenir des charges contre l’individu ? Souvent, ce sont des infractions mineures qui sont retenues. Parfois, aucune poursuite pénale n’est même engagée. – Voir notamment ici et ici.

Pire, dans certains États américains, comme le Texas et la Géorgie, des lois spécifiques sont en préparation, précisément pour empêcher l’arrestation des possesseurs d’armes à feu ayant oublié l’arme dans leur bagage à main lors d’un contrôle préembarquement.

Dès lors, il sera aisé pour tout malfaisant déterminé de se procurer légalement – et facilement – un pistolet semi-automatique, d’y engager un chargeur de 15 cartouches plus une chambrée, de se rendre par la route au Texas ou en Géorgie, puis de tenter de monter dans un avion avec l’arme. S’il se fait prendre, il invoquera l’oubli et pourra réessayer autant de fois qu’il le souhaitera, sans aucune conséquence.

L’arme à feu n’est plus un moyen de s’emparer de l’avion et d’en faire une arme de destruction massive.

Pourquoi un tel déséquilibre ? Le législateur américain répondrait : Mais parce que les armes indétectables sont… indétectables. Et donc, elles seraient potentiellement plus dangereuses car elles pourraient être embarquées plus facilement à bord des avions de ligne. L’argumentaire est rien moins que risible.

Le simple fait de détenir une arme indétectable va-t-il automatiquement pousser son possesseur à devenir un terroriste aérien ?

Si j’achète une boite de préservatifs, vais-je ipso facto me procurer de la cocaïne et devenir un passeur de drogues, sous prétexte que les préservatifs permettent de passer de la drogue sans être détecté ?

Les armes blanches indétectables

Les couteaux de cuisine en céramique sont indétectables par les portiques de détection métallique des aéroports. On les trouve pourtant en vente libre dans n’importe quel Wal-Mart et sur Amazon. Et c’est normal. En effet, si j’en achète un, je ne vais pas automatiquement devenir un tueur psychopathe dont le but premier dans l’existence sera désormais d’occire les 300 passagers d’un Boeing 777.

Modèle de couteau à lame en céramique miQQi Living

Qui est le plus dangereux :

  • un tireur sportif ordinaire avec un Liberator à un coup sur un champ de tir ?
  • ou un malade mental porteur d’un couteau en céramique avec une lame de 8 pouces dans un avion de ligne au-dessus de l’Atlantique ?

Aux yeux de la loi, ces deux individus représentent pourtant une même menace. Il y a comme un défaut… Car à l’heure qu’il est, aucune loi n’interdit la possession de couteaux en céramique dans sa cuisine, alors qu’il s’agit indéniablement d’une arme plus dangereuse dans un espace public et/ou confiné.

Je rappellerai l’attentat dans la gare de Kunming (Chine) en février dernier : huit activistes ouighours masqués avaient fait irruption dans le hall ; ils avaient tué 29 personnes et blessé 140 autres. Leurs armes : de simples couteaux. Imaginez le même mode opératoire dans un avion de ligne. En comparaison, un pistolet imprimé en 3D fait pâle figure.

On rétorquera : le but de la loi de 1998 est de protéger l’aviation civile ; on ne peut pas être contre la vertu. Au moins, on a fait quelque chose pour lutter contre un mode opératoire.

Tout le problème est là : on a l’impression que l’on a fait quelque chose pour résoudre le problème – alors qu’il n’en est rien.

3.3 – Une illusion de sureté qui conduit les pouvoirs publics à l’immobilisme

La seule vertu de la loi de 1988 est d’établir que les autorités ont pris conscience du problème. Mais le texte ne résout rien. Il ne fait qu’interdire, sans proposer la moindre piste de réflexion sur la façon de détecter l’indétectable.

Dormez tranquilles, braves gens, nous avons interdit les armes à feu en plastique dans les avions.

A-t-on amélioré les moyens de détection des porteurs d’armes ? Non, pas besoin, on reconduit l’interdiction de ces armes dans des termes identiques depuis 25 ans.

Sauf que les armes à feu en plastique ont considérablement évolué en l’espace d’un quart de siècle. Et ce n’est pas fini. Ainsi, dans les mois à venir nous assisterons à des améliorations notables des armes à feu en plastique imprimés en 3D. On peut en effet imaginer que l’on développera sous peu des systèmes permettant le tir de plusieurs projectiles en quelques secondes.

Par exemple, si l’on regarde la conception des barillets des revolvers, on constate la simplicité technique du système de rotation et d’alignement de la chambre et du canon. De quoi produire un authentique six-, huit- ou dix-coups. Mais le barillet peut tout aussi bien laisser place à un chargeur à glissière ou à chaine, dont la capacité n’est limitée que par le poids et l’encombrement de l’arme ainsi montée.

Cela peut paraître paradoxal : j’affirme plus haut que les couteaux en céramique sont plus dangereux que les armes en plastique imprimées en 3D. Mais j’estime ici que ce sera bientôt le contraire. Pourquoi dans ce cas vouer aux gémonies la loi de 1988 ? Ne va-t-elle pas dans le sens de ma prédiction ?

Nullement. Pour le Congrès, l’interdiction légale constitue LA solution. Mais dans la réalité, elle est sans effet sur les malfaisants, déterminés à passer à l’acte. Si aujourd’hui une arme à feu en plastique ne peut guère tuer qu’une personne dans un avion de ligne, il n’en sera bientôt plus de même. Interdire ne sert à rien si, parallèlement, des actions plus concrètes ne sont pas mises en place. Il faut dès aujourd’hui travailler à améliorer les moyens de détection.

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En matière de sureté de l’aviation civile, les armes à feu imprimées en 3D nous prouvent une fois de plus qu’il ne sert à pas grand chose de se borner à la détection des objets dangereux. C’est bien davantage sur la détection des individus dangereux qu’il faut désormais se concentrer.

Le recours aux bases de données nominatives tenues par les services de police et de renseignement sont une piste à explorer. Mais avec précaution. Et de toute façon, tant que les ordinateurs gouvernementaux ne comprendront rien à la phonétique et à l’orthographe mouvante des noms propres, il ne faut pas s’attendre à des progrès fulgurants, comme nous l’ont montré les attentats du vol NW253 de 2009 (voir ce document, p. 5) et du marathon de Boston en 2013. Vu les ressources dépensées en installation, maintenance et alimentation de ces outils, leurs échecs n’en sont que plus cuisants.

La piste la plus prometteuse à court terme demeure le profilage de sûreté (ou évaluation comportementale). On apprenait la semaine dernière que le directeur de la TSA, John Pistole, entendait braver les rapports parlementaires niant l’efficacité de la méthode ; il compte au contraire améliorer le système par le recours au questionnement ciblé. Mine de rien, il s’agit là rien moins que l’une des plus importantes (et des meilleures) décisions de M. Pistole depuis son arrivée à la tête de l’administration de la sureté des transports.

Comme pour bien d’autres problèmes de sureté, la solution à la question des armes à feu imprimées en 3D ne réside pas dans la plume du législateur, mais bien davantage dans l’œil de l’homme de terrain averti.

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.