La Cour suprême britannique vient-elle de donner ses lettres de noblesse à une secte multinationale ? Est-ce un blanc-seing accordé aux scientologues pour mener impunément des activités répréhensibles en Grande-Bretagne ? La justice de Sa Majesté a-t-elle abdiqué devant les hordes de Miscavige ? Non, non et non.
Mercredi dernier, la plus haute juridiction du Royaume-Uni a joliment renvoyé la Ville de Londres dans ses 22 mètres : il est illégal pour l’Officier de l’état-civil londonien de refuser à deux scientologues le droit de se marier religieusement selon les rites de scientologie, sous prétexte que la scientologie ne serait pas une religion – puisque les scientologues ne vouent pas de culte à un dieu.
Dans un précédent billet consacré à cette affaire, j’appelais de mes voeux une décision de la Cour suprême britannique qui viendrait mettre bon ordre à ce salmigondis administrativo-judiciaire. C’est donc chose faite. La scientologie est reconnue comme une religion en Grande-Bretagne. Et c’est normal. Je sais, ça peut surprendre ; mais il est grand temps de se rendre à l’évidence.
Eh oui, la scientologie est une religion…
En 2002, dans ma thèse de doctorat en droit criminel très critique envers les activités de l’Église de scientologie, j’écrivais pourtant (p. 520-521) que la scientologie devait être considérée comme une religion.
L’Église de Scientologie est la communauté des personnes qui, à l’échelle mondiale, se réclament du dogme spirituel de L. Ron Hubbard. On se trouve donc en présence d’un élément subjectif – une foi, basée sur une doctrine – et d’un élément objectif – une église, une assemblée de fidèles.
On peut même constater que, outre ses centaines de milliers d’adeptes à travers le monde, l’Eglise de Scientologie dispose de :
- son clergé ;
- sa liturgie ;
- son « Vatican » : l’Église de Scientologie Internationale, située à Los Angeles, est l’organisation centrale administrative de l’Eglise de Scientologie ;
- sa « Mecque » : Flag, org basée à Clearwater (Floride), est chargée de la délivrance des niveaux les plus élevés du Pont, et se révèle par conséquent un passage obligé pour tout adepte aspirant à la vérité suprême scientologique ;
- son orthodoxie, établie commercialement par un recours systématique à la protection juridique des termes, concepts et ouvrages de scientologie par les copyrights et assurée techniquement par la Sea Org, qui veille à l’application rigoureuse des directives de L. Ron Hubbard et administre l’Éthique ;
- ses dissidences : les squirrels, qui déclarent faire de la scientologie en dehors de l’Église de Scientologie ;
- ses apostats.
Aux yeux du droit public, la Scientologie peut – et doit – par conséquent être considérée comme une religion. (…)
Cela n’est pas du goût de divers opposants au fait sectaire, qui ne comprennent pas comment je peux tout à la fois :
- dénoncer les activités de l’Église de scientologie (ce qui m’a valu d’être catalogué comme opposant notoire par l’organisation elle-même – voir notamment ici et ici),
- et considérer le dogme de L. Ron Hubbard comme une religion.
Je vais tenter de m’en expliquer.
Distinguer Scientologie et Église de scientologie
La religion est une composante de la liberté de pensée. Or, celle-ci est absolue. À moins de vivre dans un État orwellien, on ne saurait interdire à des individus de partager en pensée un dogme d’ordre métaphysique.
La pratique religieuse, en revanche, relève de la liberté de culte, composante de la liberté d’expression. Or, cette liberté n’est pas absolue. Elle s’arrête là où commence la liberté d’autrui.
En résumé, on a le droit de penser tout ce que l’on veut, mais on n’a pas le droit de faire tout ce que l’on veut.
Par ailleurs, il faut distinguer :
- la religion, qui est la réunion de deux éléments : un corpus de croyances d’une part, et une assemblée de croyants d’autre part ;
- l’église, qui est la dénomination traditionnelle de cette assemblée.
Donc, aussi aberrant que nous paraisse un dogme religieux, il serait particulièrement dangereux pour nos libertés fondamentales qu’un État décide de l’interdire. Mais il serait tout aussi dangereux qu’un État octroie à une église une totale liberté de culte, sous prétexte que ce culte obéit aux préceptes d’une religion officiellement reconnue.
Doit-on interdire l’Islam en tant que pensée religieuse, sous prétexte qu’il existe des groupes terroristes islamistes ? Certainement pas. Mais doit-on pour autant absoudre ces mêmes terroristes du fait qu’ils agissent au nom d’une religion ? Bien sûr que non !
Des exonérations fiscales pour les églises de scientologie ?
Alors bien sûr, cette reconnaissance officielle de la scientologie suscite la controverse. Et d’aucuns de pousser d’ores et déjà des cris d’épouvante, en prévision de futures exonérations fiscales en faveur des églises de scientologie.
Si l’on devait en arriver à de telles extrémités, les seules à blâmer seraient les autorités qui n’auront pas su s’adapter et auront continué de favoriser l’arbitraire et l’invective stérile au détriment du droit.
La décision de la Cour suprême britannique prend corps dans une tendance qui se dégage depuis quelques années. Elle porte un coup d’arrêt à l’arbitraire des administrations de divers pays à l’encontre d’organisations considérées comme des sectes. J’ai d’ailleurs consacré à cette question un récent billet sur ce blogue.
Vous estimez que l’Église de scientologie est une secte dangereuse dont il faut stopper les exactions ? Moi aussi. Mais on n’y parviendra pas en prenant des décisions irréfléchies, indéfendables devant les tribunaux.
Il faut prouver convenablement en justice que les églises de scientologie violent la loi (et non la morale ou la tradition).
La justice française l’a fait récemment avec panache, en condamnant l’église parisienne de scientologie – en tant que personne morale – pour escroquerie en bande organisée et exercice illégal de la pharmacie. De fait, si l’association venait aujourd’hui demander à l’État français des exemptions fiscales, sur le fondement de la loi de 1905 sur les associations cultuelles, elle essuierait un cuisant refus fondé en droit sur les troubles à l’ordre public commis par l’organisation.
Cela n’empêche pas la scientologie de demeurer une religion. Mais j’estime que les églises de scientologie françaises ne doivent pas être exonérées d’impôts. Non pas en raison de leur dogme, mais en raison des actes que ce dogme les amène à accomplir ou à faire accomplir par leurs adeptes.
Faisons confiance à la justice britannique pour savoir faire elle aussi le distinguo.
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À propos de Arnaud Palisson
Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.