Un couteau de poche est toujours plus dangereux qu’un lacet de chaussure.
Certes, il existe bien des moyens de faire monter une arme à bord d’un avion de transport commercial. Mais pour assurer la sureté des passagers, bannir les couteaux de poche de la cabine des aéronefs demeure une condition nécessaire et – malheureusement – non suffisante. Mais nécessaire quand même…
C’est suffisamment rare pour que je me permette de le mentionner : je ne partage pas du tout l’avis de l’expert Philip Baum – rédacteur en chef de la revue Aviation Security International – sur le sujet. Dans son dernier éditorial, M. Baum multiplie les erreurs de raisonnement. Ainsi, lorsqu’il écrit :
Les couteaux de poche ne sont pas plus dangereux que les mains nues d’un terroriste, ou ses lacets de chaussures, sa ceinture, son stylo ou une flopée d’objets du quotidien qui peuvent être utilisés pour avoir le dessus sur des membres d’équipage ou des passagers.
Pocketknives are no more dangerous than a terrorist’s bare hands, his (or her) shoelaces, belt, pen or a host of everyday items which could be used to overpower crewmembers or passengers.
Dans ce cas, pourquoi les terroristes du 11-Septembre se sont-ils armés de box cutters pour prendre le contrôle des aéronefs ? Pourquoi n’ont-ils pas plutôt utilisé des lacets ou des stylos ?
Dans les mains d’un individu inexpérimenté, un couteau de poche sera toujours considérablement plus dangereux qu’une fourchette en plastique.
Un couteau est toujours plus dangereux qu’un stylo ou un lacet. L’erreur faite traditionnellement consiste à penser qu’en bannissant les couteaux, les cabines d’avion deviennent sécuritaires. En langage mathématique, on dirait qu’interdire les couteaux en cabine est une condition nécessaire mais non suffisante.
On pourra raisonner par analogie en prenant un exemple en matière de sécurité routière. On connait l’argument selon lequel la ceinture de sécurité n’évite pas les morts dans les accidents de la route, donc ce n’est pas la peine de s’embêter à la boucler. Effectivement, dans certains accidents, la ceinture de sécurité ne suffit pas à sauver les occupants du véhicule. Si vous roulez à des vitesses vertigineuses sur une route sinueuse à flanc de montagne, la ceinture de sécurité ne vous sera pas d’un grand secours lorsque vous sortirez de la route. Mais globalement, la ceinture sauve quantité de vies tous les jours. En sécurité routière, la ceinture est une condition nécessaire, mais non suffisante.
Sur l’air de Guns Don’t Kill People, People Kill People, M. Baum tente de nous expliquer que c’est l’état d’esprit du malfaisant qui importe. Ce faisant, il focalise à outrance sur l’hypothèse terroriste. L’éditorialiste a bien conscience que son raisonnement est bancal, notamment en ce qui concerne l’accès de fureur en vol. Aussi s’empresse-t-il d’aborder la question, mais avec des arguments pour le moins spécieux.
Quant à l’argument selon lequel un couteau de poche peut s’avérer une arme mortelle dans les mains d’un passager psychologiquement perturbé, il est fallacieux. En effet, les bouteilles d’alcool en verre achetées au magasin hors taxes, les verres que l’on trouve sur les plateaux repas et même les couverts en plastique peuvent s’avérer tout aussi dangereux.
The argument that a pocket knife can become a lethal weapon in the hands of a psychologically disturbed passenger is flawed inasmuch as glass bottles of duty free liquor, glassware from meal trays and even plastic cutlery can be as dangerous.
M. Baum semble avoir oublié l’incident du vol Qantas 1737 du 29 mai 2004. Un passager du nom de David Mark Robinson, en proie à une crise de schizophrénie paranoïaque, entendait prendre le contrôle de l’avion pour l’écraser sur un massif montagneux de Tasmanie et ainsi sauver le monde de l’Armagueddon. Pour parvenir au cockpit, il avait sorti de son bagage de cabine deux pieux en bois (qui ne sonnent pas dans les portiques de détection métallique…) et en avait frappé à la tête et au thorax un passager et une hôtesse de l’air qui tentaient de s’interposer. Leurs blessures n’eurent pas de funestes conséquences. Il n’en aurait certainement pas été de même si, au lieu de puiser dans l’arsenal de Buffy contre les vampires, l’Australien avait emprunté à MacGyver son Victorinox ou son Leatherman. Sur un vol transpacifique, le neurochirurgien le plus proche est à quelques heures… d’avion.
Dans les mains d’un individu inexpérimenté, un couteau de poche sera toujours considérablement plus dangereux qu’une fourchette en plastique. Car dans sa crise, la personne va se jeter sur ce qui lui parait immédiatement comme une arme, un objet susceptible de menacer ou de blesser gravement l’interlocuteur.
Oubliez donc les aiguilles à tricoter et les lacets de chaussures. Quant à la bouteille en verre achetée au magasin hors taxes, soi-disant aussi dangereuse qu’un couteau de poche : on ne porte pas une bouteille d’alcool d’un litre dans sa poche ! On la laisse dans son bagage de cabine et on ne peut pas la dégainer illico presto et la casser d’un geste rageur sur l’appuie-tête d’un siège en cas d’altercation avec l’hôtesse. Et si l’on sort sa bouteille de whisky pour la boire dans l’avion, on a un problème de sureté en devenir ! Mais c’est une autre histoire. [tout comme d’ailleurs si c’est un individu particulièrement mal intentionné qui, à dessein, a acheté la bouteille, mais on ne parle alors plus de personne psychologiquement perturbée.]
C’est donc à bon escient que la Federal Law Enforcement Officers Association s’est élevée contre la volonté de la TSA d’accepter de nouveau les petits couteaux, arguant que les policiers embarqués seraient de plus en plus souvent confrontés à de délicates situations de sureté en vol.
Mais le nombre d’Air Marshals concernés n’est rien en comparaison de celui des agents de bord. De fait, des associations de professionnels de l’aviation civile se sont jointes à ce concert de critiques de la décision de l’administration fédérale. Plusieurs syndicats d’agents de bord ont même monté une Coalition of Flight Attendant Unions pour dénoncer cette décision « irresponsable ». On les comprend. Car si la TSA maintenait sa décision, c’est sur les hôtesses et stewards que reposerait désormais la sureté de l’aéronef et de ses passagers dans la majeure partie des situations dangereuses. Plus que jamais, ils devraient être alors adéquatement formés aux techniques de ligature et de combat au corps-à-corps (sur la question, on pourra se réfèrer à mon article en 3 parties).
3ème partie – Une réintroduction pour le moins incohérente »
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À propos de Arnaud Palisson
Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.
bonjour
Tout le monde sait , sauf les ignorants un peu attardés , que le terrorisme se combat en amont : on n attend pas la montée dans l avion. A ce propos , tout le monde devrait savoir qu’il est très facile de s introduire sur un aéroport et de dégommer un avion au décollage à l aide des armes appropriées. De même introduire des armes dans la cabine est toujours possible avec ou sans complicité interne. Tout est question d argent , avec on achète tout , il suffit d un peu de bon sens pour le comprendre.Quant à prendre comme exemple le 11/09 , ça fait bien rigoler la moitié des Américains et dans une proportion plus grande encore les Français. Je suis pilote et j ai volé aux USA, je connais leurs moyens d’interception et de défense, mais les préjugés et la croyance aveugle ont la vie dure ! Dommage que les soviétiques n aient pas connues ces incroyables faiblesses sinon ces gros méchants en auraient profité ! LOL