Le principal risque à bord des avions de ligne n’est pas le risque terroriste
Si l’on s’en remet à une véritable analyse du risque de sûreté dans les avions de transport commercial, on constate que le passager perturbateur violent présente un risque bien plus élevé que le terroriste en mission suicide.
Pour justifier sa décision de permettre la réintroduction des couteaux de poche, la TSA argue du fait que les portes de cockpit des avions de ligne ont été renforcées ; ainsi, il n’y aurait plus moyen pour un fou de Dieu armé un canif de réitérer le drame des Twin Towers. Pour la TSA, il conviendrait en revanche de mettre l’accent sur la détection des engins explosifs. Ce faisant, l’administration américaine énonce explicitement que le vrai danger du transport aérien, c’est le terrorisme. La réalité est tout autre.
Il existe en effet un risque bien plus grand que le terrorisme dans les avions de ligne. Un risque qui se réalise tous les jours, quelque part dans le ciel. Ce danger dans l’aviation civile qui devrait éclipser le terrorisme, c’est le passager perturbateur violent, celui qui ne tient pas l’alcool en altitude, celui qui stresse, celui qui n’a pas pris ses médicaments (ou en a pris trop) et qui entre en crise en frappant ceux qui lui demandent de se calmer. Les anglophones désignent cette menace sous le terme air rage. J’utilise pour ma part le vocable accès de fureur en vol.
Reléguer le risque terroriste au second plan peut paraître saugrenu. En effet,après tout, un ivrogne à 30 000 pieds est moins dangereux qu’un terroriste porteur d’un engin explosif artisanal. Mais cette comparaison s’avère considérablement biaisée.
Pour comparer les niveaux de risque respectifs d’un attentat terroriste et d’un cas d’accès de fureur en vol, il faut considérer trois éléments.
1- la probabilité de survenance de l’incident
L’hypothèse terroriste demeure extrêmement rare. En effet, le nombre d’attentats à bord d’un avion en vol peut être estimé au mieux à un tous les deux ans. Sur la même période, on répertorie officiellement entre 500 et 600 cas de perturbateur violent.
L’alcool, véritable fléau des airs, est même vendu dans les boutiques hors taxes des jetées aéroportuaires. Mieux, il est disponible gratuitement à bord des avions !
Certains spécialistes avancent pour leur part des chiffres autrement plus élevés, estimant jusqu’à 10 000 incidents par an, rien que pour les compagnies aériennes américaines !
2- la vulnérabilité des avions de ligne
De nos jours, détruire un avion en vol ou le détourner pour l’écraser sur une cible au sol demeure extrêmement difficile. Monter un engin explosif à bord, l’assembler puis le faire détoner en vol relève de l’exploit. Quant à la prise de contrôle de l’aéronef, entre porte de cockpit renforcée et couverts en plastique, la chose n’est pas aisée. Sans compter l’état d’esprit de passagers, enfants du 11-Septembre, qui ne se laissent plus détourner sans réagir en masse. Un avion en vol est donc peu vulnérable aux attaques terroristes en vol.
Tel n’est pas le cas en matière de perturbateur violent. Parce que les substances « explosives » en la matière passent sans encombre les contrôles de sureté. Je parle des médicaments et, surtout, de l’alcool. Ce dernier, véritable fléau des airs, est même vendu dans les boutiques hors taxes des jetées aéroportuaires. Mieux, il est disponible gratuitement à bord des avions ! La situation est suffisamment inquiétante pour que certaines compagnies aériennes prennent – enfin – des mesures drastiques.
On connaissait depuis quelque temps les listes d’interdiction de vol que certaines compagnies établissent pour pouvoir refuser sur leurs lignes des personnes connues pour violences aériennes.
On apprenait la semaine dernière que Turkish Airlines envisageait très sérieusement de bannir l’alcool sur tous ses vols en provenance et en direction de la Russie. C’est dire…
3- les conséquences de l’incident
L’acte terroriste présente certes un important potentiel de mort puisque l’activiste a la volonté de détruire l’avion. Mais l’intention ne suffit pas. Le dernier attentat réussi remonte à 2004, en Russie. Depuis cette date, tous les attentats en vol ont échoué en raison d’un mode opératoire inadapté et de l’intervention des passagers et du personnel de bord.
L’attentat raté se solde généralement par des blessures de moyenne intensité, principalement sur la personne du terroriste.
Parallèlement, un grand nombre de cas d’accès de fureur causent des blessures (légères et moyennes) aux intervenants, qu’ils soient auteurs ou victimes de l’agression.
Quand le perturbateur ne s’en prend pas physiquement aux passagers ou au personnel de bord, il essaie d’ouvrir une des portes de l’appareil. On rétorquera, sur l’air de l’argument connu, qu’à haute altitude, la différence de pression entre l’intérieur et l’extérieur de l’avion rend impossible l’ouverture de la porte. Allez dire ça à la famille de Julien Tologanak.
En avril 2009, ce jeune homme originaire de Cambridge Bay (Nunavut) qui présentait des signes de dépression, embarquait à Yellowknife (Terriroires du Nord-Ouest) dans un B200 de la compagnie Adlair Aviation. Alors que l’avion se trouvait à 180 km de sa destination, Tologonak décidait d’ouvrir la porte de l’appareil. Les membres de l’équipage tentèrent de l’arrêter. En vain. Le jeune homme se jeta dans le vide, depuis une altitde de 23.000 pieds (7 km).
Ce drame nous apprend que, oui, la porte d’un avion peut être ouverte en plein vol. Mais on peut également se demander si les personnes qui ont tenté d’arrêter Julien Tologonak n’auraient pas pu être entraînées avec lui dans sa chute.
On a même recensé des cas où c’est le pilote de l’appareil lui-même qui fait un accès de fureur en plein vol. L’année dernière, l’incident survenu sur un vol JetBlue entre New York et Las Vegas illustre particulièrement bien le problème. On imagine sans peine la catastrophe sur laquelle peut déboucher pareille situation.
Au final, si l’on croise ces trois critères, on constate que l’attentat terroriste présente un risque bien moindre que le perturbateur violent.
2ème partie – Un couteau de poche est toujours
plus dangereux qu’un lacet de chaussure.»
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À propos de Arnaud Palisson
Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.