Le 2 mars dernier, sur la rampe des arrivées de l’aéroport international de Francfort (Allemagne), un homme est monté à bord d’un autocar qui s’apprêtait à convoyer une vingtaine de soldats américains. Il a sorti un pistolet et fait feu à plusieurs reprises, tuant ainsi deux militaires et en blessant deux autres.
La finalité terroriste de l’agresseur est aujourd’hui clairement établie : Arid Uka, 21 ans, musulman d’origine kosovare résidant en Allemagne, a agi de la sorte pour condamner à sa manière la présence de l’armée américaine en Afghanistan. Les soldats ciblés arrivaient en effet du Royaume-Uni et s’apprêtaient à rallier par la route la base américaine de Rammstein d’où ils s’envoleraient pour l’Afghanistan.
Ce qui frappe le plus dans cette attaque jihadiste, c’est la faiblesse de la couverture médiatique qui lui a été accordée. Une semaine après les faits, les médias internationaux n’évoquaient déjà plus l’événement ; et ce, avant même que ne surviennent le tsunami japonais et la crise libyenne
Pourtant, malgré les apparences, l’attentat de Francfort mérite une attention particulière. Il cumule en effet quatre éléments préoccupants ayant trait à la menace terroriste globale (1) comme spécifique aux aéroports occidentaux (2).
1 – La menace terroriste globale
L’acte d’Arid Uka met en exergue deux des principales problématiques actuelles de la lutte antiterroriste.
a) L’ennemi de l’intérieur
Pour préparer son acte, Arid Uka disposait d’un avantage décisif. En effet, quand bien même aurait-il été fréquemment aperçu à proximité des lieux du futur attentat (la rampe des arrivées du terminal 2), le jeune Kosovar n’aurait que difficilement éveillé les soupçons des agents de sureté de l’aéroport. En effet, Arid Uka était employé à l’aéroport, dans le hall du terminal 1 (distant d’un kilomètre, à une minute de là, via la navette ferroviaire de l’aérogare).
Par ailleurs, travaillant au bureau de poste de l’aéroport, en zone publique, son embauche n’était pas subordonnée à l’obtention d’un laissez-passer en zone règlementée. Autrement dit, il n’avait pas été assujetti à une sérieuse vérification des fichiers de police à son encontre.
L’ennemi de l’intérieur pose un considérable problème de sureté, quel que soit le secteur d’activité et quelle que soit la nature de la menace (terrorisme ou criminalité de droit commun). En effet, l’employé bénéficie, par définition, de la confiance de son employeur (dans le cas contraire, il ne l’aurait pas embauché). Une confiance qui lui demeure acquise jusqu’à survenance d’un événement significatif. Autrement dit, tant qu’il ne se fait pas remarquer défavorablement, l’agent infiltré peut faire à peu près n’importe quoi pour préparer et même exécuter un acte répréhensible dans son environnement professionnel.
b) Le loup solitaire
Quand bien même Arid Uka aurait-il été l’objet d’une enquête préembauche un peu serrée, il est peu probable que les bases de données des autorités allemandes eussent été en mesure de le repérer.
En effet, le jeune Kosovar est ce que l’on appelle un loup solitaire. Il s’agit d’un activiste qui a été sensibilisé à l’action radicale (en l’occurrence, le jihad) par des sources ouvertes (notamment via Internet) mais qui va décider de son propre chef de passer à l’action, sans avoir suivi un entrainement ou une formation auprès d’une organisation terroriste ou criminelle.
Échappant aux procédés traditionnels de recrutement des terroristes (comme c’est le cas dans les mosquées islamistes et les prisons), le loup solitaire est un cauchemar pour les services de renseignement. Il n’apparait guère en effet que sur des forums Internet spécialisés ou sur certains réseaux sociaux fréquentés par une foultitude d’adeptes des théories politico-religieuses extrémistes.
Certains services de renseignement occidentaux disposent certes d’importantes ressources matérielles et logicielles pour traquer le jihadiste en herbe sur Internet. Mais ils manquent du personnel nécessaire pour analyser les données ainsi collectées et déterminer, parmi des milliers d’individus exprimant des vues radicales, celui qui est le plus susceptible de passer à l’acte.
Outre qu’un activiste comme Arid Uka est très difficile à détecter avant son passage à l’acte, un tel attentat en contexte aéroportuaire présente pour un terroriste des avantages particuliers.
2 – La menace spécifique aux aéroports
Depuis des lustres, les autorités des transports partent du postulat que toutes les mesures de sureté aux aéroports doivent converger pour assurer la protection des aéronefs de l’aviation civile. Ainsi, il est devenu extrêmement difficile pour un terroriste d’agir contre un avion de ligne. La preuve en est qu’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) a dû se résigner à attaquer les avions cargo, au départ d’un pays peu regardant sur le contenu des colis postaux. Une stratégie qui, comme nous l’avons expliqué dans un précédent article, est vouée à l’échec, notamment par manque d’impact… terroriste.
La nouvelle cible de prédilection des terroristes n’est plus l’avion, mais l’aéroport (a). Et plus spécifiquement la zone publique de l’aérogare (b).
a) L’aérogare, une cible symbolique
Attaquer un aéroport international, c’est élever la menace terroriste au niveau mondial.
L’attentat de l’aéroport international de Moscou-Domodedovo le 24 janvier dernier a connu un retentissement médiatique bien plus grand que le double attentat dans le métro de Moscou du 29 mars 2010, malgré un nombre de morts inférieur (37 contre 40). L’attaque-suicide de l’aérogare visait en effet des étrangers, afin d’augmenter la pression terroriste dans le cadre des futurs Jeux olympiques de Sotchi en 2014.
Mais attaquer un aéroport, c’est aussi attaquer un pays à travers son transport aérien.
Ainsi, le 30 mai 1972, à l’aéroport de Lod (aujourd’hui l’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv), débarquant d’un vol en provenance de Rome, un commando de l’Armée rouge japonaise a ouvert le feu dans une salle d’attente. Les trois terroristes nippons – œuvrant pour le compte du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) – ont ainsi tué 26 personnes et en ont blessé 80. Ce faisant, ils ont porté à l’autorité d’Israël le coup le plus sérieux de son histoire contre son transport aérien.
Dans le même ordre d’idées, rappelons que le 27 décembre 1985, à Rome et à Vienne, ainsi que le 4 juillet 2002, à Los Angeles, des terroristes ont attaqué le comptoir d’enregistrement d’El AL dans chacun de ces aéroports, tuant en tout 21 personnes. Quand les terroristes islamistes sont incapables de faire sauter un avion de ligne israélien, tuer des touristes au comptoir d’El Al, en zone publique d’une aérogare, c’est déjà tout un symbole.
b) La zone publique de l’aérogare, cible facile
À quoi cela sert-il de préparer durant des mois – voire des années – un attentat contre un avion en vol, quand il est possible, dans la même période, de fomenter une dizaine d’attaques contre des aérogares ? Le nombre de victimes directes serait certes équivalent. Mais 10 attentats en aérogare auront une puissance terroriste bien supérieure à 1 seule attaque à bord d’un avion en vol.
Par ailleurs, poser une bombe dans la longue file d’attente qui serpente avant le point de fouille, c’est une centaine de victimes assurées. Agissant de la sorte, le terroriste s’assure un taux de réussite élevé : nul besoin d’assembler la bombe dans les toilettes de l’avion (avec tous les aléas que cela implique) ni de s’assurer que l’engin explosif montera bien à bord du vol ciblé via la salle à bagages. Enfin, le risque d’être repéré, identifié ou arrêté sur les lieux de l’attentat est minimal.
On rétorquera : « Si attaquer les aérogares présente tellement d’avantages pour les terroristes, pourquoi ne les attaquent-ils pas systématiquement ? »
Parce que, dans leur lutte pour instiller la terreur en occident, les terroristes islamistes se sont laissés parasiter par l’esprit de bravade : ils cherchent à fomenter des attentats qui prouvent leur supériorité sur les moyens de sureté mis en place par les pays occidentaux. Les attentats du 29 octobre 2010 contre les avions cargo constituent un paroxysme en la matière.
Le jour où ces criminels auront compris la vanité de cette approche, l’occident connaitra une véritable menace terroriste, susceptible de frapper :
- n’importe où (et pas seulement dans les avions)
- et n’importe quand (car les cibles faciles permettent de multiplier les attentats improvisés).
L’Irish Republican Army (IRA) n’a jamais eu besoin de faire sauter un avion de ligne en vol pour faire passer son message. Par ailleurs, la vague d’attentats islamistes de 1995 en France démontre que l’on peut facilement – et en un court laps de temps – créer une psychose terroriste avec quelques bombes artisanales déposées dans les gares, les rames de métro, sur les lignes ferroviaires, sur les sites touristiques, dans les marchés publics,…
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On le voit, l’attentat de Francfort cumule quatre éléments préoccupants en termes de menace terroriste aux aéroports. Cette menace est d’autant plus grande à l’aéroport international de Montréal-Trudeau, qui accueille régulièrement des autocars des Forces canadiennes convoyant des soldats à destination de l’Afghanistan.
On peut toujours espérer qu’Arid Uka ne suscitera pas des vocations de copycat jihadiste sur le boulevard Roméo-Vachon Nord. Mais on ne peut pas raisonnablement s’en tenir là.
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À propos de Arnaud Palisson
Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.