À peine avais-je terminé la rédaction de mon précédent billet consacré à l’Église de scientologie que je tombais sur un article du magazine Psychologies consacrée à l’organisation controversée.
Loin de moi l’idée de vouloir commenter toute l’actualité média sur le sujet. Mais cet article illustre parfaitement l’une des critiques que je formulais à propos du reportage TV Scientologie – La vérité sur un mensonge. J’expliquais en effet que les journalistes y avaient commis l’erreur de focaliser sur les témoignages d’anciens adeptes, au détriment d’une approche plus objective. Au lieu de simplement dire que les adeptes ont été trompés, il est toujours préférable de démontrer pourquoi et comment la secte trompe ses adeptes.
Ce n’est pas là une vue de l’esprit. Ce n’est pas jouer sur les mots. Cette distinction est essentielle. Centrer son propos sur les témoignages d’anciens adeptes n’est pas seulement inadapté. C’est surtout une démarche journalistique néfaste car elle offre aux sectes et à ses défenseurs une voie royale pour battre en brèche les arguments avancés.
C’est ce qu’illustre malheureusement fort bien ledit article de la revue Psychologies, dans son édition de juillet-aout 2010 (reproduit sur le site internet du magazine).
Intitulé Comment la Scientologie nous trompe, le document suit un adepte le long de son cursus introductif en scientologie. Ce cheminement est ensuite analysé par un psychanalyste, un psychologue cognitiviste et une sociologue des religions. C’est le commentaire de cette dernière qui nous retient ici.
Il émane de Nathalie Luca, chercheure au CNRS et professeure à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), haut-lieu parisien de la défense des mouvements sectaires. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, ouvertement favorables aux nouveaux mouvements religieux.
Les raisons qui poussent certains universitaires à embrasser la cause pro-sectaire sont trop longues pour être ici décrites. Pour quelques éléments de réponse, on se reportera à l’introduction de ce précédent article.
Plutôt que de tirer des extraits du commentaire de Mme Luca, j’ai pris le parti de reproduire in extenso son intervention dans l’article de Psychologies. Ces deux paragraphes s’avèrent en effet particulièrement révélateurs de la façon de manipuler les faits et de les enrober sous couvert de la candeur feinte des universitaires pro-sectaires.
Dans le traitement médiatique habituel des adeptes de sectes, nous entendons toujours dire qu’ils sont des victimes, qu’ils n’ont rien demandé, qu’on leur a pris leur porte-monnaie… Or, comme le montre ce témoignage, c’est une démarche consciente. Pour la suivre jusqu’au bout sans jamais la remettre en cause, cela suppose de faire des choix. Notamment celui de faire abstraction de certains aspects qui pourraient vous contrarier. Évidemment, vous êtes sous influence, vous vous sentez sous pression rapidement. Mais comme vous pouvez l’être quand vous tombez éperdument amoureux. La vraie question, selon moi, est : pourquoi certains sont-ils prêts à faire le choix de poursuivre l’expérience ?
L’une des réponses, me semble-t-il, est que ces adeptes espèrent parvenir à avoir la preuve que “c’est vrai”, que “ça marche”. Ils ont envie de croire aux progrès, au bien-être, à la puissance qu’on leur propose de trouver. Quitte à en payer le prix fort. C’est pour cela que c’est difficile et douloureux d’en sortir ensuite, parce que c’est reconnaître que l’on s’est trompé et que l’on a voulu croire plus que de raison à quelque chose qui n’avait pas de sens. Plus une croyance est abracadabrante et vous demande des efforts pour y adhérer, plus vous êtes actif, participatif. Et, plus vous êtes actif, plus vous vous mettez en danger. Parce que c’est tout votre être qui est alors engagé dans cet effort. Remettre en cause ce système, c’est vous remettre entièrement en cause. Dans ce témoignage sont évoquées la conviction et la persévérance de Sophie et de l’auditeur : il ne faut pas oublier qu’eux aussi font une expérience. Ils sont certes plus avancés dans le processus d’adhésion, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont totalement convaincus ou “fous”. Eux aussi ont envie d’y croire, eux aussi ont des doutes… C’est pour cela qu’ils vont tout faire pour que cela marche, et pour que les personnes reviennent. Moins pour les manipuler que pour trouver, à travers elles, d’autres raisons d’y croire.
Au premier abord, on peut abonder dans le sens de Nathalie Luca. L’auto-persuasion de l’adepte est en effet un facteur important. Mais la sociologue des religions veut nous faire croire que c’est là l’unique raison pour laquelle les scientologues quittent difficilement leur Église.
Elle va même jusqu’à prétendre que, pour retenir les adeptes en proie au doute, les auditeurs (en quelque sorte les psychothérapeutes) n’agissent pas en vertu de processus de manipulation, mais par un mécanisme exacerbé d’auto-persuasion de leur propre cheminement en scientologie.
Traduit en langage profane, Nathalie Luca veut nous persuader que le maintien, aussi douloureux soit-il, d’un adepte en scientologie est imputable quasi-uniquement à l’adepte et non à l’organisation.
En disant cela, Nathalie Luca fait totalement abstraction des manœuvres frauduleuses complexes mises en place par l’Église de scientologie et appliquées à la lettre par ses zélotes. Des manœuvres frauduleuses qui, comme je le démontre dans ma thèse de doctorat, sont le fondement des escroqueries (le plus souvent aggravées) commises au sein des organisations de scientologie (orgs), aussi bien lors de l’hameçonnage via le test de personnalité que lors de la vente de séances d’audition.
La sociologue fait également abstraction de certaines méthodes violentes de maintien dans l’organisation. Des méthodes que, preuves à l’appui, je qualifiais dans ma thèse d’arrestation et de séquestration arbitraires. Des méthodes dont l’affaire Martine Boublil révèle avec éclat la réalité et l’actualité.
Aussi, que doit-on penser de tels propos dans la bouche d’une sociologue des religions qui se prétend spécialiste des sectes mais ignore apparemment tout de ce qui se trame dans les coulisses d’une org de scientologie ?
Que répond Mme Luca au verdict du Tribunal correctionnel de Paris, en octobre dernier, condamnant l’Église de scientologie d’Île-de-France et le Celebrity Centre de Paris en tant que personnes morales pour escroqueries aggravées ?
Au mieux, Nathalie Luca est une incompétente. Au pire, la sociologue est une négationniste du fait sectaire.
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Note sur l’emploi du terme « négationnisme » :
Dans son acception la plus large, le terme « négationnisme » désigne une doctrine prônant la négation d’une réalité quelconque (historique, économique, sociale, politique, etc.), malgré la présence de faits l’attestant de façon flagrante.
J’utilise pour ma part le vocable de « négationnisme sectaire », ce qui consiste à nier la dangerosité – pourtant objectivement établie – de certaines sectes nocives. Le cas de l’Église de scientologie en constitue un exemple marquant.
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À propos de Arnaud Palisson
Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.