À propos de la série documentaire « Raël, le prophète des extraterrestres » sur Netflix

La plateforme Netflix propose depuis le 7 février une intéressante série de 4 x 45 minutes consacrée à Raël.

Il est rare qu’un documentaire accorde autant de temps à Claude Vorilhon et à son organisation. Malgré quelques réserves, j’en recommande vivement le visionnage.

Avant de livrer mes commentaires, par souci de transparence, je tiens à préciser que j’ai participé à cette série, entre 2021 et 2023. J’ai notamment accordé une entrevue filmée de près de 4 heures. Il n’en reste toutefois rien dans le montage final.

En effet, l’approche initiale des auteurs et réalisateurs Antoine Baldassari et Alexandre Ifi était bien différente de la version diffusée. Cela dit, mon avis sur le documentaire n’est en rien influencé par le fait que je n’y apparaisse pas.

En effet, j’ai déjà été interviewé longuement pour d’autres documentaires dans lesquels je ne figure pas non plus. Par exemple, en 2022, sont sorties consécutivement deux séries documentaires, l’une en France (6 x 1h), l’autre au Québec (6 x 45′), tournées en collaboration et consacrées à l’Ordre du Temple solaire (OTS). De mon intervention de 2 heures, iI n’est rien resté dans le montage final, ni de l’une, ni de l’autre. Cela ne m’empêche pas pour autant de considérer ces deux documentaires comme les meilleurs jamais réalisés sur l’OTS.

Un des points forts de cette série documentaire réside à mon sens dans la description de l’émergence du personnage de Raël. Il est fort bien montré le rôle crucial et délétère que les médias audiovisuels ont joué dans l’ascension du gourou ; mais aussi comment la presse a alimenté son narcissisme et sa mégalomanie durant des décennies.

J’aurais toutefois préféré que la série parle moins de Raël et s’intéresse davantage au mouvement raélien. Bien sûr, on ne peut prétendre comprendre l’organisation si l’on ne s’intéresse pas un minimum à son fondateur. Et Raël est un personnage tellement pittoresque. Toutefois, en focalisant sur le gourou, on relègue à l’arrière-plan ce qui est pour moi l’essentiel : la dangerosité intrinsèque du mouvement.

Bien que ce programme mérite amplement qu’on lui consacre trois heures de son temps, il m’a paru pertinent d’en souligner les aspects moins réussis, confinant aux lieux communs trop souvent exposés dans les documentaires consacrés à Raël.

A) La pédocriminalité

En particulier, j’ai trouvé que la question de la pédocriminalité était sous-exploitée. Bien sûr, on évoque diverses agressions sexuelles sur mineur ; mais de façon superficielle.

On nous montre une partie de la fameuse émission Ciel Mon mardi, en 1992. Sur son plateau, Christophe Dechavanne avait ainsi mis face-à-face Raël et un ex-raélien, Jean Parraga.

Ce dernier, particulièrement émotif, mettra Raël en difficulté, au point que l’un des lieutenants du gourou, Gilles Carbonnell, présent dans le public, devra intervenir pour faire diversion.

Toutefois, dans la série Netflix, l’intervention de Jean Parraga – très écourtée et isolée – pourrait ne pas convaincre le téléspectateur car, au final, c’est la parole d’un homme (Raël) contre celle d’un autre (Parraga).

Pour se faire une meilleure idée du choc que constitua cette émission – qui allait conduire Raël à quitter la France -, on pourra (re)visionner l’intégralité de la séquence :

Je trouve en revanche intéressant qu’aucun des raëliens interviewés dans la série Netflix n’émette de critiques véhémentes à l’encontre de Jean Parraga – sur qui il y avait pourtant beaucoup de choses à dire – notamment le fait qu’il finançait son association anti-Raël en se livrant au proxénétisme. Mais peut-être de telles déclarations ont-elles été coupées au montage.

Je regrette également que le cas du susmentionné Gilles Carbonnell ne soit pas abordé. En effet, ce très haut responsable raélien avait quitté précipitamment le territoire français en 2002, suite à l’ouverture d’une enquête à son encontre pour des agressions sexuelles répétées sur une très jeune mineure, fille de sa compagne de l’époque – une certaine Brigitte Boisselier, dont nous reparlerons plus loin.

Certes, le documentaire évoque également un fameux procès devant les Assises du Vaucluse en 1997 ; mais, là aussi, de façon lapidaire. De sorte qu’il est bien difficile d’en déduire un lien clair entre dogme raélien et pédocriminalité. Pourtant, à cette même époque (1996-97), plusieurs affaires similaires (à Grasse, St-Étienne et Brive-la-Gaillarde) impliquant des raéliens avaient défrayé la chronique judiciaire.

De quoi contrebalancer les propos lunaires du cadre raélien Jean-Pierre Saulnier sur de prétendues dérives individuelles.

B) L’initiative « NoPedo »

Dans la foulée, le documentaire se penche sur « NoPedo », une initiative du Mouvement raélien lancée à cette même époque. Son objectif était de détourner le regard des médias vers une autre pédocriminalité : celle des prêtres catholiques.

Le documentaire donne alors la parole à Georges Fenech, ancien président de la Miviludes. Malheureusement – mais je n’en suis guère surpris -, l’ex-magistrat n’apporte là aucun éclairage.

À la charge raélienne contre les prêtres pédophiles, Georges Fenech ne trouve rien de mieux à dire en substance que : « Bien joué, Raël.»

C’est un peu court… et assez désolant. Au lieu de donner des gages à Claude Vorilhon, M. Fenech aurait été bien inspiré de signaler que la pédocriminalité de prêtres catholiques ne peut pas être comparée à celles d’adeptes raéliens. Et ce, pour au moins trois raisons :

  1. le dogme de l’Église catholique ne fait pas l’apologie de la pédophilie ;
  2. les prêtres catholiques pédophiles agressent leurs victimes dans le plus grand secret ; alors que les pédocriminels raéliens le font souvent en groupe, et couramment avec l’assentiment des parents desdites victimes ;
  3. les agressions commises par un prêtre catholique sont le fait d’un seul individu, au sein d’une communauté ; alors que, dans une congrégation raélienne, les agressions sexuelles sur mineur peuvent être le fait de plusieurs responsables et adeptes lambda.

C) Les images d’Épinal

En outre, j’ai trouvé que la série documentaire accordait une place trop importante à l’aspect sensationnel du clonage humain et du libertinage chez les raéliens. Cette focalisation se fait, selon moi, au détriment de la dénonciation de la réalité qu’elles dissimulent.

a) Le clonage humain

Le 27 décembre 2002, dans une conférence de presse tenue en Floride, l’évêque raélienne et directrice scientifique de la société Clonaid, Brigitte Boisselier, annonçait la naissance du premier bébé cloné.

Ce canular à l’échelle planétaire offrit au mouvement une tribune médiatique inégalée. Mais au-delà des vains discours sur l’éthique générés par ce non-événement, il faut se souvenir que la société Clonaid proposait quatre services différents, multipliant ainsi les opportunités de lucratives filouteries :

  • Insuraclone : le stockage d’un échantillon de cellules d’une personne, en vue de la recréer par clonage en cas d’accident ou de maladie incurable,
  • Ovulaid : la vente d’ovules provenant de femmes choisies sur catalogue, fécondés et implantés chez des femmes stériles,
  • Clonapet : le clonage d’animaux de compagnie et d’espèces à pedigree,
  • et bien sûr, Clonaid : la création d’un enfant qui serait le clone de l’un de ses parents.

Sur ce dernier point, je regrette une fois encore l’intervention de Georges Fenech, qui nous dit en substance : le clonage humain, à cette époque, c’était techniquement possible. Donc, il était raisonnable de penser que Raël fût effectivement parvenu à cloner un bébé.

C’est doublement malavisé de sa part.

Tout d’abord, à l’époque, des scientifiques spécialisés expliquaient qu’on était en présence d’un canular, précisément parce que la technique n’était pas au point.

En outre, dès l’origine de l’initiative du clonage raélien, à la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG), nous savions qu’il s’agissait d’une entourloupe. J’avais pour ma part travaillé sur le sujet dès 1997. À cette occasion, lors d’une des premières conférences des raéliens sur le clonage humain à Paris, je m’étais d’ailleurs entretenu avec Brigitte Boisselier. C’est peu dire que je n’avais pas été impressionné.

Cinq ans plus tard, le 28 décembre 2002, au lendemain de l’annonce de la prétendue naissance du bébé cloné, j’étais de permanence au Ministère de l’Intérieur et je découvrais, effaré, les errements de la quasi-totalité de la presse française, titrant en première page sur le bébé cloné, sur l’air de « On ne sait jamais, c’est p’têt’ vrai ». J’avais alors rédigé une note de synthèse, rappelant sur sept pages tous les éléments attestant de la sombre farce.

Pour leur part, les associations anti-sectes supputaient fortement l’arnaque. Même chose chez certains magistrats à la Chancellerie (j’ai des noms).

Donc, lorsque M. Fenech nous dit qu’en 2002, c’était possible que Raël eut réussi à cloner un bébé, eh bien NON, ça ne l’était pas.

b) Le libertinage

Le documentaire Netflix aborde ensuite la grande liberté sexuelle des raéliens adultes. Mais cette tarte à la crème est un sujet très difficile à traiter. En effet, abordé superficiellement, il donne l’impression que tous ces gens sont, au bout du compte, des adultes consentants. Qu’ils aient une révélation mystique en regardant leur anus, ou en pratiquant la méditation sensuelle à plusieurs en plein air ou avec le gourou dans une alcôve, après tout, grand bien leur fasse.

Or, c’est plus compliqué. La contrainte existe, mais elle est subtile. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les Anges. Car les plumes roses et blanches cachent une réalité sordide.

La séquence jette un bel éclairage sur leur reportage, qui joua un rôle majeur dans la décision de Raël de quitter le Canada. Le documentaire tente alors d’expliquer l’emprise qu’exercerait le mouvement sur ses adeptes soumises. Mais il y échoue.

On ne s’en étonnera pas, car l’erreur est classique : ce n’est pas l’absence de consentement de la victime qu’il faut prouver, mais la contrainte (via des stratagèmes malveillants) exercée par le gourou. Nous sommes bien peu à prêcher  cette bonne parole, dans le désert inconséquent dédié à l’« emprise sectaire ». Mais c’est là une autre histoire.

D) La succession de Claude Vorilhon

Le documentaire s’achève sur la question de la succession de Raël, et estime que l’un ou l’autre des cadres actuels de l’organisation pourrait en prendre la direction internationale. Pour ma part, je ne pense pas que le mouvement raélien se relèvera de la mort de Claude Vorilhon.

Tout d’abord parce qu’aucun autre responsable du mouvement n’a rencontré les Élohim. Ce qui, dans une religion révélée comme le raélisme, plombe la légitimité de tout prétendant. Cela ne peut qu’entraîner une profonde crise de succession, de nature bien plus politique que doctrinale. Avec tous les schismes que cela impliquera.

Ensuite parce que, malgré ce que prétend succinctement Raël, le passage de témoin n’a pas commencé.

Comparaison n’est pas raison, mais prenons l’exemple de la crise de succession dans l’Église de scientologie au début des années 1980. L. Ron Hubbard, malade, fatigué et paranoïaque, vivait caché et isolé en campagne, avec la seule assistance des époux Broeker. Pendant ce temps, à Los Angeles, se jouait un coup d’État, sous la férule du jeune, charismatique et intraitable David Miscavige. L’homme avait su s’assurer le contrôle de l’organisation mondiale, notamment par de solides montages juridiques et financiers. De sorte que, à la mort de Hubbard en 1986, Miscavige dirigeait déjà l’Église depuis au moins quatre ans.

Mais dans le Mouvement raélien, aucun homme fort ne se dégage, à côté de Raël. Celui-ci a beau diriger plus timidement son organisation depuis Okinawa, il est toujours LE boss.

À la mort de Vorilhon, l’organisation s’éparpillera en groupuscules aux quatre coins du monde, « façon puzzle.» Par exemple, on sent bien dans le documentaire que l’Ivoirien Yves Boni s’érigera en Raël africain.

C’est d’autant plus probable que Claude Vorilhon a semé la graine. Notamment avec cette petite phrase – entendue dans le documentaire – glissée aux cadres ivoiriens du mouvement :

Il y a, dans vos dieux anciens, des Élohim qui vous rendront, non pas égaux, mais supérieurs aux anciens colonisateurs.


Au final, il faut reconnaître à ce documentaire bien des mérites. Tout d’abord, il consacre 3 heures à Raël et à son organisation. C’est plus du double d’autres documentaires récents sur le sujet. Il montre par ailleurs de très nombreuses archives inédites et pertinentes. Il intègre également plusieurs entrevues avec Raël dans son refuge au Japon.

La série fait s’exprimer plusieurs dignitaires raéliens, dans le mouvement depuis des décennies. Les propos de certains sont, à bien des égards, proprement édifiants. Quand ils ne sont pas tout simplement pathétiques – je pense notamment à Jean-Pierre Saulnier qui, cinquante ans plus tard, plane toujours à 10.000 pieds… 

Enfin, le documentaire donne la parole à des ex-raéliens qui ont occupé des fonctions importantes. À ce titre, l’entrevue de Damien Marsic, le technicien du laboratoire Clonaid constitue un sacré jalon.

Son témoignage enfonce le dernier clou dans le cercueil du canular clonesque ; mais il marque aussi surtout par le constat d’une vie gâchée que l’on doit tenter de rattraper à vitesse grand V. C’est assurément l’un des temps forts de la série.

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.

4 réponses sur “À propos de la série documentaire « Raël, le prophète des extraterrestres » sur Netflix”

  1. Bonjour,
    Merci pour cet article très intéressant.
    Je travaille également sur ce sujet.
    Pourrais-je vous demander quelques éclaircissements complémentaires ?
    ACult.

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