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L’inadéquation des techniques de frappe
En matière d’arts martiaux, on distingue traditionnellement :
- les disciplines de frappe (striking martial arts) telles que kung fu, karaté, tae kwon do, boxe,…
- les disciplines de saisie (grappling martial arts) telles que judo, aïkido, jiu-jitsu,… qui privilégient les projections, les immobilisations au sol, les luxations d’articulation et les étranglements.
Nombre de compagnies aériennes forment leur personnel navigant à l’auto-défense en leur enseignant des techniques de frappe. Il en est de même au sein du Crew Member Self Defense Training Program (CMSDT). Développé sous la férule de la Transportation Security Administration (TSA), ce séminaire d’une journée initie les membres d’équipage aux techniques d’auto-défense à appliquer en situation de fureur en avion. La TSA publie sur son site un vidéo faisant la promotion de ce programme.
On peut constater de visu que l’écrasante majorité des mouvements enseignés sont des techniques de frappe. Cela n’a rien de surprenant : l’enseignement est dispensé par des membres du Federal Air Marshals Service (FAMS). Le problème, c’est que les cibles et les objectifs des Air Marshals dans la défense d’un aéronef sont totalement différents de ceux des membres d’équipage.
Ainsi, en Amérique du nord, les Air Marshals ont été créés pour lutter d’abord et surtout contre la menace terroriste. Par exemple, La Gazette de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) présente en ces termes son programme d’Air Marshals :
Le Programme de protection des transporteurs aériens canadiens (PPTAC) a été mis au point après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis. (…) Les agents de sûreté à bord [sont] des agents secrets spécialisés qui se trouvent en position stratégique et sont prêts à intervenir au moyen de la force en cas de détournement imminent. (…) Les agents en civil sont affectés à certains vols commerciaux en vertu d’un processus d’évaluation de la menace.
Les Air Marshals sont porteurs d’une arme à feu et sont entrainés pour intercepter des terroristes, avec possibilité de les tuer (dans un cadre de légitime défense).
Aussi, lorsqu’il assiste à un cas d’accès de fureur en avion, un Air Marshal doit évaluer :
- si son intervention est requise en tant que représentant de la loi,
- ou s’il doit au contraire s’abstenir d’intervenir, afin de préserver son anonymat pour pouvoir profiter de l’effet de surprise, advenant par la suite un autre événement plus grave.
Pour les membres d’équipage, l’hypothèse terroriste demeure très marginale et très loin de leur réalité quotidienne. Ils sont en revanche confrontés de plus en plus souvent à des situations d’accès de fureur en avion. Dans ces circonstances, il ne s’agit pas pour eux de procéder à l’arrestation voire l’élimination du voyageur récalcitrant. Le personnel navigant doit être capable au contraire de rasséréner le passager et, en cas d’échec, de mettre fin à la situation par une intervention physique moindrement violente.
Malheureusement, enseigner des techniques de frappe au personnel de bord constitue une double erreur :
- on prend le risque que des membres d’équipage peu entrainés se blessent en donnant un coup du pied ou de la main, même paume ouverte ;
- on apprend aux membres d’équipage à infliger au passager une douleur qui incitera ce dernier à mettre fin au conflit.
Mais, sur ce dernier point, lors d’un accès de fureur, la douleur que subit le sujet n’est pas transmise correctement au cerveau, en raison de l’effet :
- des substances chimiques ingérées par le passager intoxiqué,
- ou de l’adrénaline sécrétée chez le passager souffrant de trouble psychologique.
De fait, le membre d’équipage aura beau frapper le passager, celui-ci ne s’arrêtera pas pour autant. Pire, l’acte physique de l’agent de bord déclenchera l’escalade de la violence.
En outre, les disciplines de frappe sont susceptibles d’engendrer de graves traumatismes à l’adversaire. En réponse à un accès de fureur, le membre d’équipage sera donc contraint d’asséner des frappes qui seront d’autant plus nombreuses que le passager ne réagira pas à la douleur.
Il est d’ailleurs impensable (pour ne pas dire irresponsable) pour des Air Marshals d’enseigner à des individus non entrainés des techniques de coup de coude au plexus solaire et au visage. Il s’agit là de frappes au potentiel dévastateur, particulièrement inadaptées face à un passager dont le seul crime est de ne pas tenir l’alcool en haute altitude.
Et même une fois l’avion posé et le passager remis aux autorités, la compagnie aérienne ne sera pas pour autant tirée d’affaire. Car si les coups portés n’ont pas eu d’effet sur le passager dans l’avion, leurs séquelles apparaitront plus tard. Ainsi, une fois remis de ses émotions, le passager déposera plainte contre la compagnie aérienne pour les violences infligées. Et il affichera dans les médias les tuméfactions sur son corps et son visage.
Le public ne s’émouvrait guère devant la face boursouflée et bleuie d’un terroriste. Mais il ne réagira pas de même devant les traumatismes outrageusement visibles sur le visage d’un passager lambda, que la presse ne manquera pas de présenter comme sauvagement battu.
Souhaitons à la compagnie aérienne la bienvenue dans le monde de l’exploitation médiatique des violences légitimes.
Si les policiers sont entraînés à arrêter des suspects en les maitrisant sans leur causer de graves séquelles, à fortiori, il devrait en aller de même pour les membres d’équipage d’un avion de ligne à l’encontre de passagers ordinaires victimes d’un accès de fureur.
Au lieu d’apprendre aux membres d’équipage comment donner des coups, il faudrait bien davantage leur enseigner d’abord comment ne pas en prendre. Malheureusement, les formations traditionnelles optent pour une tactique de hit and run (frappez et fuyez). Or :
- dans un cas d’accès de fureur en avion, les frappes sont inefficaces. Comment fuir si le coup n’a pas fait lâcher prise à l’agresseur ?
- dans un avion de ligne, on ne peut pas reculer bien longtemps face à un individu agressif…
Dans ces conditions, la meilleure façon de ne pas prendre des coups consiste, paradoxalement, à demeurer au plus proche de son agresseur pour le contrôler et, par la même occasion, garder la maitrise de la situation.
3ème partie – Un nouveau paradigme : les techniques de saisie »
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À propos de Arnaud Palisson
Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.
Je vous dis bravo ! l’article est super