par Kristan Wheaton
Version originale : Sources & Methods – http://ow.ly/dWgwH – 2 juillet 2008
Traduit de l’anglais (américain) par AP
Comment expliquer l’absence de définition ?
Pourquoi n’existe-t-il aucune définition consensuelle du mot « renseignement » ?
Ce n’est certainement pas par paresse. On a tenté à de nombreuses reprises de définir le renseignement dans la loi fédérale, dans les descriptions de mandat de diverses agences, entreprises et autres organisations menant des activités de renseignement ; idem dans les écrits d’universitaires et autres professionnels du renseignement. Au final, tout ce que ces tentatives ont réussi à faire, c’est semer la confusion.
Par exemple, jusqu’à récemment [fin 2007 – NdT], sur sa page web à destination des enfants, la CIA trouvait la question « Qu’est-ce que le renseignement ? » si difficile qu’elle rechignait en ces termes à y répondre :
Qu’est-ce que le renseignement ? Il n’est pas facile de répondre à cette question ; selon la personne à qui vous la poserez, vous obtiendrez des réponses différentes.»
(Note : la CIA a mis à jour son site et déclare aujourd’hui : « Le renseignement est l’information dont les dirigeants de notre pays ont besoin pour protéger notre pays. » Il s’agit là, comme nous le verrons plus loin, d’une définition lourdement trompeuse.)
Mark M. Lowenthal est un briscard des communautés du renseignement de sécurité nationale et du secteur privé. Dans son livre, Intelligence: From Secrets to Policy, il remarque :
Pour ainsi dire chaque livre consacré au renseignement débute par une discussion sur la signification du mot « renseignement », ou du moins par une définition du sens que l’auteur donne à ce terme. Ce phénomène éditorial en dit long sur le domaine du renseignement.
Malgré leurs sincères efforts pour formuler une définition détaillée de leur besogne, des professionnels du renseignement même chevronnés considèrent leur domaine d’activités comme quelque chose de vague, de nébuleux, constamment repensé dans une incessante quête de sens. Ce manque de clarté est en grande partie la résultante de deux phénomènes historiques et d’un développement plus récent.
Ainsi, à l’origine, les unités de renseignement étaient de taille réduite ; elles se concentraient sur un nombre relativement restreint de personnes riches ou politiquement significatives, dans un pays ennemi ou une organisation concurrente. Ces unités avaient une vision très étriquée de leurs fonctions, codant et compartimentant les éléments-clés de l’information pour les tenir hors d’atteinte de tous, même des membres de leur propre organisation. Dans ce contexte, des décideurs, allant de Sun Tzu à George Washington, se sont souvent comportés en maitres espions ; leurs décisions étaient étroitement liées aux opérations de renseignement qu’ils dirigeaient.
En conséquence, au cours de l’Histoire, les universitaires n’ont eu traditionnellement qu’un rôle mineur dans l’analyse et la normalisation des activités de ces organismes de renseignement. Sherman Kent – que l’on présente souvent comme le « père de l’analyse de renseignement aux États-Unis » – relevait en 1955 l’absence de contributions universitaires :
Ce qui fait défaut au renseignement, c’est une littérature [universitaire]. (…) Je parle ici d’une littérature consacrée à l’analyse de cette profession à multiples facettes, produite par ses zélotes les plus instruits en la matière. (…) La littérature que j’ai en tête permettrait, entre autres choses, d’élever le débat.
L’absence d’évaluations universitaires résultait en partie du mode de fonctionnement du système en question. Il était difficile d’obtenir (quand elles existaient…) des informations sur les opérations de renseignement. Il est probable également que les figures historiques que nous avons évoquées ont découragé d’éventuelles investigations poussées sur leurs sources et leurs méthodes de renseignement ; et ce, soit pour conserver leur liberté d’action, soit par vanité. Quelle qu’en soit la raison, l’absence de travaux universitaires approfondis empêchait le renseignement de se développer en tant que concept.
(Note : aujourd’hui encore, le renseignement a bien du mal à rattraper son retard sur d’autres disciplines. Selon le College Board, aux États-Unis, il existe au moins 220 programmes préuniversitaires en ingénierie et 131 en architecture. À comparer avec environ 45 programmes préuniversitaires du pays offrant au moins un cours en renseignement).
L’accessibilité à l’information a débuté avec la Première Guerre mondiale et s’est accrue exponentiellement avec l’avènement de l’Internet ; jusqu’à ce raz-de-marée informationnel qui déferle sur nous aujourd’hui. C’est ce phénomène qui a permis, dans une certaine mesure, de diffuser largement la définition du renseignement. À présent, les analystes de tous niveaux et de toutes disciplines peuvent trouver en ligne gratuitement – voire pour un coût modique – des ressources qui autrefois coûtaient cher ou étaient difficiles à dénicher ; ils peuvent acquérir des aptitudes jadis réservées aux élites. Des organisations non gouvernementales (ONG) telles que le Southern Poverty Law Center et l’International Relations and Security Network ont fait leur entrée dans le monde du renseignement, aux côtés de sociétés commerciales comme iJet et STRATFOR. Ce qui a rendu cela possible, c’est l’existence d’un flux constant d’informations en provenance des quatre coins du monde et portant sur quasiment n’importe quel sujet. Même des casinos déclarent aujourd’hui recourir au renseignement (Merci, Kathleen!).
Il est difficile de déterminer avec précision à partir de quel point toutes ces organisations recourent à des activités qui relèvent ou s’apparentent au renseignement. Mais ce faisant, elles mêlent sources, méthodes, compétences et objectifs [du renseignement]. Tout cela ne fait que souligner l’absence – et la nécessité – d’une définition précise et globale du renseignement.
À suivre – À quoi pourrait ressembler une bonne définition du renseignement ? »
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À propos de Kristan Wheaton
Kristan Wheaton, J.D., est maitre de conférences à l’Institute for Intelligence Studies de la Mercyhurst University à Erie, Pennsylvanie (États-Unis). Ancien analyste du renseignement pour l’US Army, il fut notamment chef analyste pour l’Europe, au sein de la Direction du renseignement de l’US European Command, à Stuttgart.