Il faut tuer le cycle du renseignement – 4ème partie

Le « traditionnel » cycle du renseignement et son histoire

par Kristan Wheaton

Version originale : Sources & Methods

Traduit de l’anglais (américain) par AP

– Introduction et sommaire de cette série –

Trouver des représentations du cycle du renseignement n’est pas difficile. Pour ainsi dire toutes les organisations, entreprises et agences d’application de la loi disposent de capacités (même modestes) de renseignement et d’une représentation en image similaire à celle figurant ci-contre.

[Adaptation francophone oblige, cette image diffère de celle figurant dans l’article original. Il s’agit ici de la version française du cycle du renseignement selon le Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS). – NdT]

Cette représentation traditionnelle du processus de renseignement est si envahissante qu’elle est généralement regardée comme une théorie consacrée. En effet, de nombreux professionnels du secteur privé ont bâti une large part de leurs campagnes commerciales en vantant les mérites du cycle.

De même, il est banal de voir le cycle figurer en bonne place dans des publications gouvernementales, des politiques générales, des documents de formation et même des critiques du renseignement. Toute l’architecture du renseignement, dans chacune de ses trois principales branches, se retrouve dans cette vision plus ou moins courante de la façon dont les professionnels du renseignement exercent leurs fonctions.

Bien que le cycle soit populaire, son histoire demeure obscure. Des règlements de l’US Army [Armée de terre des États-Unis – NdT] publiés durant la Première Guerre Mondiale identifiaient la collecte, la compilation et la diffusion du renseignement militaire comme des tâches essentielles de ce que l’on dénommait alors la Military Intelligence Division [Division du renseignement miliaire]. — Détail amusant : selon un témoignage produit devant le Congrès en 1919, l’intégralité du budget du renseignement militaire [américain] s’élevait en 1913 à 10 000 $ (environ 227 000 $ actuels). — Mais il n’était pas suggéré que ces trois fonctions fussent organisées sous forme séquentielle, et encore moins cyclique.

En 1926, des officiers du renseignement militaire recommandèrent de distinguer quatre fonctions pour le renseignement en matière de combat tactique : besoins, collecte, « utilisation » (c’est à dire analyse) et diffusion ; bien que, là encore, il n’était pas fait explicitement mention d’un cycle du renseignement.

La première mention manifeste d’un cycle du renseignement (voir ci-contre) que j’ai pu trouver est tirée d’un livre publié en 1948, intitulé Intelligence Is For Commanders (Le renseignement s’adresse aux chefs). J’imagine que l’on a probablement commencé à utiliser le cycle du renseignement durant la Seconde Guerre Mondiale, comme support de formation mais je ne suis pas parvenu à prouver formellement cette hypothèse.

Depuis cette époque, le cycle en tant que modèle de fonctionnement du renseignement, est devenu envahissant. Une simple recherche d’images du vocable « cycle du renseignement » sous Google donne rapidement une idée de la grande variété d’agences, d’organisations et d’entreprises qui utilisent une variante du cycle.

(Note : les professionnels expérimentés du renseignement peuvent passer les quelques paragraphes suivants qui tracent les grandes lignes d’une version plus ou moins générique du cycle du renseignement, basée sur l’image figurant en tête de cet article. J’insère ici cette explication pour les lecteurs qui ne seraient pas familiarisés avec le concept ou pour des étudiants en renseignement qui auraient besoin d’une remise à niveau).

Bien que, dans une description typique du processus, les détails varient considérablement dans la réalité (ce dont nous parlerons dans le prochain article), le cycle du renseignement commence généralement par la planification/orientation – ou un terme similaire. L’orientation vient habituellement des décideurs pour qui travaille l’unité de renseignement, mais elle peut également provenir des hauts responsables de l’activité de renseignement, voire des analystes eux-mêmes.

Il est important de noter ici que la planification et l’orientation peuvent être distinctes, mais souvent cette distinction est informelle (la plupart des variantes du cycle ne font d’ailleurs pas la distinction). On observe cela le plus souvent dans les organisations où on ne dispose pas d’assez de temps pour suivre un processus plus formel.

On constate également une répartition moins formelle des tâches dans les plus petites unités de renseignement, comme en contexte d’entreprise, ou bien dans les entités dans lesquelles les professionnels du renseignement et les décideurs entretiennent une relation sur le long terme.

Dans une version classique du cycle du renseignement, après la phase de planification/orientation, commence alors la phase de collecte. Ici, le professionnel du renseignement applique son plan de cueillette des informations nécessaires pour comprendre et répondre aux besoins formulés.

Une fois que l’unité de renseignement a collecté l’information nécessaire, d’autres professionnels du renseignement, au sein de la même unité, vont la traiter et l’exploiter. Traitement et exploitation de l’information peuvent prendre de nombreuses formes ; il peut s’agir, par exemple, de décrypter des transmissions chiffrées, de transformer une multitude de conversations en un rapport unique cohérent, de traduire une information d’une langue vers une autre, d’identifier des bâtiments ou d’autres éléments sur une photographie aérienne,… Pour faire court, traitement/exploitation est la phase au cours de laquelle une information brute devient utilisable pour le plus grand nombre de personnes autorisées à en prendre connaissance au sein de l’entité de renseignement.

Une fois les phases planification/orientation, collecte et traitement/exploitation terminées, le cycle du renseignement se concentre alors sur l’analyse/production, autrement dit l’interprétation des données collectées et la création d’un produit qui répond le mieux aux besoins formulés par les décideurs. Les analystes ont besoin de la plus grande variété possible de sources d’information pour corroborer d’autres informations et répondre aux besoins  formulés. Mais le type de source importe beaucoup moins que sa fiabilité et que la pertinence de l’information, relativement aux besoins identifiés.

La production connait ses propres problématiques et elles sont souvent indépendantes de celles de l’analyse. Si l’analyste se concentre sur le contenu de son analyse, le spécialiste en production de renseignement s’intéresse à sa mise en forme. Celle-ci dépend, elle aussi, des besoins et des souhaits émis par les décideurs pour lesquels travaille l’unité de renseignement. Par exemple, dans de nombreux secteurs de la communauté américaine du renseignement, le produit traditionnel est un document écrit, accompagné d’images et de graphiques qui expliquent les points-clés ; mais les décideurs du monde des affaires se sentent beaucoup plus à l’aise avec des tableaux, des graphiques et des chiffres, accompagnés de quelques lignes de texte explicatif.

La phase finale du diagramme est la dissémination. C’est là que le spécialiste en renseignement livre le produit final au décideur. Bien que cela semble plutôt facile à réaliser, il y a, là aussi, des difficultés inhérentes. Déterminer avec précision les destinataires d’un document de renseignement, et la façon dont il doit leur être adressé sont des fondamentaux de cette phase. Par exemple, la classification (c’est à dire le degré de secret ou de confidentialité du produit de renseignement) est une de ces considérations.

Dans le même ordre d’idées, de nombreux pays développés prennent pour acquis les capacités de communication à haut-débit de la voix et des données. Mais dans bien des cas, particulièrement en matière de renseignement, de telles capacités sont rares ou altérées en raison d’un isolement géographique. Dans ces cas, la bande passante disponible détermine où (et même si) le produit de renseignement doit être envoyé par voie électronique.

5ème partie – Les critiques faites au cycle »

À propos de Kristan Wheaton

Kristan Wheaton, J.D., est maitre de conférences à l’Institute for Intelligence Studies de la Mercyhurst University à Erie, Pennsylvanie (États-Unis). Ancien analyste du renseignement pour l’US Army, il fut notamment chef analyste pour l’Europe, au sein de la Direction du renseignement de l’US European Command, à Stuttgart.