Le 6 février dernier, la télévision suisse romande diffusait un reportage consacré aux nouvelles technologies de contrôle pré-embarquement.
Concis mais efficace. Ainsi, la reporter suisse voue ainsi aux gémonies le nouveau scanneur à ondes millimétriques, tandis qu’elle pare de toutes les vertus le Smart Corridor.
Vous voici devant une nouvelle manifestation du syndrome du journaliste-qui-comprend-rien-à-rien-mais-qui-sait-tout-sur-tout.
Petite analyse contradictoire.
1- Le nouveau Satan : le scanneur à ondes millimétriques
Les journalistes n’ont de cesse de nous rappeler qu’ils n’ont pas d’à priori et que l’objectivité est pour eux une seconde nature. Force est pourtant de constater ici que notre helvète de reporter est persuadée dès le départ que ce nouveau scanneur est l’instrument du Mal.
Tout d’abord, une passagère blonde à cheveux courts nous confie :
« Je ne trouverais pas ça très sympathique de me faire scanner.»
Notez l’emploi du conditionnel. Autrement dit, je ne sais absolument pas de quoi vous me parlez, mais ça ne me plait pas. Ça ne vous rappelle pas votre fils de cinq ans qui n’a jamais goûté de champignons mais qui ne veut pas en manger parce que, c’est sûr, il n’aimera pas ça ? J’imagine la description effroyable du nouveau scanneur que la journaliste a dû dresser à son interlocutrice avant de l’interviewer…
Apparemment, cette passagère préfère le système actuel de la palpation de sécurité. Il faut croire qu’en Suisse, toutes les femmes palpées au contrôle pré-embarquement le sont par des femmes. Mais dans d’autres pays, même occidentaux, la règle n’est pas aussi absolue, loin s’en faut. Officiellement, mesdames, vous avez le droit d’exiger d’être fouillée par une agente. Mais s’il n’y en a pas de disponible au point de fouille, vous allez devoir attendre un moment. Libre à vous…
Le reportage nous offre ensuite une entrevue avec le Préposé à la protection des données, un haut fonctionnaire suisse très à cheval sur la protection de l’intimité de la personne et des informations nominatives. Sur le moniteur informatique de son bureau, apparaît une image tirée d’un scanneur corporel.
Cette image a fait le tour du monde. C’est la tarte à la crème de ces nouveaux scanneurs vus par les journalistes. Seul problème : ce cliché provient d’un appareil utilisant la technologie dite backscatter scan. Certes, cette technologie est testée dans divers aéroports. Mais ces instruments sont aujourd’hui pourvus d’algorithmes d’intimité, qui rendent une image nettement moins indécente que celle reproduite ci-dessus.
En fait, avec un scanneur à ondes millimétriques, l’image produite ressemble plutôt à ceci :
Dans le reportage de CBS que nous avons évoqué récemment, on se souvient que la chroniqueuse Leslie Stahl avait déclaré, en découvrant les écrans de ces scanneurs :
« To be frank, I thought I was going to see something almost pornographic.»
Le susmentionné Préposé suisse déclame par ailleurs :
« Ce scanner va beaucoup trop loin dans l’intimité des gens. On peut voir le sexe et les piercings aux parties génitales. C’est clairement une atteinte à la sphère intime.»
OK. Temps mort. On remet tout à plat. Actuellement, si vous portez des perçages aux parties génitales ou même simplement aux tétons, lors du contrôle pré-embarquement, vous allez :
- Faire bipper le portique de sécurité
- Faire bipper le bâton de détection Garrett de l’agent
- Devoir montrer vos perçages à l’agent.
- Devoir éventuellement les enlever devant lui !
Arrêtez-moi si je me fourvoie, mais dans le genre « atteinte à la sphère intime », c’est quand même autrement plus grave !
Et quand bien même vous ne porteriez pas de perçages, préféreriez-vous :
- un scanneur qui dévoile votre silhouette et quelques détails anatomiques particulièrement flous ?
- ou une palpation corporelle ? Sachant que cette fouille peut être effectuée par un individu du même sexe… ou de l’autre.
Par ailleurs, le haut fonctionnaire suisse nous assène :
« Est-ce que la sécurité justifie ce genre de mesures ?»
Autrement dit, est-ce que ce type de scanneur est vraiment indispensable ? Quand on sait que :
- les portiques et les bâtons de détection Garrett ne détectent que les objets métalliques,
- certaines armes à feu sont constituées de plastique et de fibre de carbone,
- les couteaux en céramique coupent comme des lames de rasoir…
Je pense que oui, la sécurité justifie ce genre de mesures.
Non contente d’avoir induit le téléspectateur en erreur avec sa description fallacieuse du scanneur à ondes millimétriques, la journaliste nous présente ensuite la prétendue panacée en matière de contrôle pré-embarquement.
2 – Deus ex machina : le Smart Corridor
Il est vrai que, présenté comme il l’est dans le reportage, le Smart Corridor est extrêmement séduisant. Pour notre journaliste suisse, c’est la plus belle invention après le fil à couper le beurre. C’est comme le couloir d’entrée du métro dans le film Total Recall, les squelettes en moins.
Mais la réalité aéroportuaire est tout autre.
Je passe rapidement sur le courant d’air qui déloge les particules d’explosifs analysées par des capteurs. Cette technologie existe déjà dans la plupart des aéroports américains, où elle est intégrée à des portiques.
Le plus intéressant ici est l’utilisation que le Smart Corridor fait du scanneur. Comme nous le dit le « Monsieur de chez Thalès », dès le départ, le système a été pensé en termes de respect de l’intimité. Effectivement, les images du corps humain qui apparaissent sur les moniteurs sont fort peu suggestives. Mais qu’en est-il des objets portés par la personne ?
Et là, le reportage fait montre d’une subjectivité proprement insondable. Un individu cache un pistolet en plastique dans sa ceinture et referme sa veste. L’arme factice est invisible à l’œil nu, mais le scanner du couloir intelligent repère la présence de l’objet.
À la sortie du corridor, l’individu sera intercepté par un agent qui lui demandera d’ouvrir sa veste et qui découvrira, horreur ! l’arme dissimulée. Bien joué !
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Petite – mais irrépressible – digression
J’aime particulièrement ces images où l’on voit la personne glisser l’arme factice dans sa ceinture. Thalès et la journaliste nous disent en substance : le Smart Corridor veille ! Le danger que représente le pistolet est écarté avec brio. Dormez, braves gens. La personne ne présente plus de danger pour l’aviation civile. En effet, que voulez-vous qu’elle fasse de dangereux en zone réglementée ou dans un avion avec une simple ceinture ?
Réponse : ÇA :
Fist of Legend – Extrait
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Le Smart Corridor détecte même les armes en plastique. Parfait ! Maintenant, que se passe-t-il si l’individu porte dans sa veste un CD-Rom, un iPod, un trousseau de clés et/ou un portefeuille regorgeant de cartes de crédit ?
Étant donné que le système est conçu pour respecter l’intimité de la personne, les filtres numériques appliqués sur l’image rendent une image très approximative de l’objet. De ce fait, l’agent de contrôle derrière le moniteur peut penser qu’il est en présence d’une clé USB ou d’un couteau suisse. Et rien à l’image ne permet de lever le doute.
Maintenant que croyez-vous qu’il va se passer lorsque la personne va sortir du Smart Corridor ? Un agent va lui demander d’ouvrir sa veste, de vider ses poches, d’ôter sa ceinture ou ses chaussures,…
Ça ne vous rappelle rien ? Si : c’est très exactement ce que vous vivez, aujourd’hui lorsque vous passez au point de fouille d’un aéroport.
Pire : avant d’entrer dans le Smart Corridor, si vous vous êtes délesté de tous les objets que vous portiez (qu’ils puissent être suspects ou anodins), que va-t-il arriver à ces effets personnels durant votre traversée du couloir ? Dans le meilleur des cas, ils auront été placés dans des bacs qui vous attendront gentiment à la sortie. Enfin, en théorie. Il faut savoir en effet que le point de contrôle pré-embarquement est l’un des lieux de prédilection des voleurs en zone stérile [1]. Déjà quand lesdits paniers sont à côté de vous, lorsque vous passez le portique de détection, il y a un risque que vous vous fassiez subtiliser quelque chose. Alors imaginez ce que ce serait lorsque vous perdriez totalement de vue vos effets personnels durant 30 secondes…
Qu’est-ce que le Smart Corridor apporterait de plus que les technologies déjà en place ou que le scanneur à ondes millimétriques ? Rien ! En revanche, il ferait perdre du temps à tout le monde, insécuriserait les effets personnels des voyageurs et coûterait des sommes folles aux contribuables. Car ce seraient eux (comprenez : vous) qui financeraient cette folie.
Conclusion
Certes, le scanneur millimétrique est cher : 17 fois plus cher qu’un portique classique anti-métaux (10 000 $). Mais lui, il détecte aussi les objets non métalliques et accommode bien des passagers (à commencer par les porteurs de prothèses chirurgicales métalliques, proprement ravis de l’installation de ces nouveaux appareils).
Pour sa part, le Smart Corridor détecte tout… et n’importe quoi, ralentit tout le monde et vide les caisses du Ministère des Transports : son coût n’est pour l’heure même pas évoqué. Mais on peut légitimement penser qu’il est prohibitif.
Les États-Unis sont en train de déployer un parc impressionnant de scanneurs millimétriques. Pendant ce temps, en Europe – à l’exception de rares aéroports -, on s’offusque d’une image aussi sexy qu’un roman d’Émile Zola et on préfère encore se faire palper par de parfaits étrangers. Tout en fermant les yeux sur les armes à feu en matériau composite.
Rendez-vous donc dans trois ans pour voir les autorités aéroportuaires du Vieux continent s’arracher les cheveux pour faire fonctionner efficacement le Smart Corridor.
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[1] Zone stérile : partie de la zone réglementée d’un aéroport où se trouvent des passagers.
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À propos de Arnaud Palisson
Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.