Les apparences sont souvent trompeuses : l’étranglement est l’une des techniques les plus appropriées pour contrôler un individu agité lors d’une arrestation policière.
La semaine dernière, à Staten Island (New York), un homme de 43 ans, Eric Garner, est décédé lors de son arrestation par plusieurs policiers du New York Police Department (NYPD).
L’arrestation, filmée par des passants, a été largement médiatisée. On peut y voir le suspect se faire amener au sol, puis être maintenu à terre par rien moins que six policiers.
Note : la vidéo comporte des images violentes.
Or, certaines images de cette vidéo ont particulièrement frappé les médias : lorsque l’un des policiers en civil, Daniel Pantaleo, a porté à Garner un étranglement afin de l’amener et de le maintenir au sol. Dès lors, une presse quasi-unanime voit dans cette strangulation la cause directe de la mort. (1 – 2 – 3 – …)
Cette orientation médiatique m’a interpelé car l’étranglement comme technique de contrôle d’un individu agressif est selon moi l’une des plus efficaces et des plus sécuritaires – comme je l’ai précédemment souligné ici-même, à propos des techniques d’auto-défense appropriées dans les avions de ligne.
Aussi, il suffit de regarder un tant soit peu attentivement la vidéo de l’événement dramatique de Staten Island pour s’apercevoir que ce n’est certainement pas l’étranglement qui est responsable du décès d’Eric Garner.
L’étranglement permet effectivement au policier Pantaleo d’amener Garner au sol. Il maintient la saisie jusqu’à 0’50 ». Jusque là, l’arrestation est certes rude, mais l’individu est maîtrisé. La situation est sous contrôle et le menottage devrait pouvoir se faire, assez sereinement, par les autres policiers présents.
Paradoxalement, l’erreur de Pantaleo a été, à ce moment-là, de relâcher la prise, afin de se redresser et d’être en position dominante pour le menottage. Eric Garner n’étant plus aussi bien contrôlé, il va se remettre à se débattre, ce qui conduit Pantaleo à plaquer violemment le visage de l’homme contre le sol. À cela s’ajoute l’immobilisation maintenue par cinq autres policiers, dont deux au moins pèsent de tout leur poids sur le thorax et l’abdomen d’Eric Garner.
Ce dernier – qui souffre par ailleurs d’asthme – a alors le souffle complètement coupé. Il parvient à articuler plusieurs fois de suite « I can’t breathe » (je ne peux plus respirer). Et il ne faut pas être grand clair pour comprendre qu’il ne simule pas.
De longues secondes s’écoulent. L’insuffisance respiratoire le gagne. Il perd conscience ; puis, il est pris de spasmes. Aucune manoeuvre de réanimation cardio-respiratoire ne lui étant prodigué sur-le-champ, Eric Garner décède peu après.
Il ne fait selon moi aucun doute que les policiers ont manqué de discernement et ont abusé de la force en effectuant cette arrestation. C’est une bavure policière, aux conséquences tragiques.
Mais il est faux de prétendre que la mort a été causée par l’étranglement porté par le policier.
Certes, en raison de quelques interventions mortelles, le recours à l’étranglement est interdit à l’article 203-11 du guide des patrouilleurs du NYPD :
Members of the NYPD will NOT use chokeholds. A chokehold shall include, but is not limited to, any pressure to the throat or windpipe which may prevent or hinder breathing to reduce intakes of air.
Toutefois, cela ne signifie pas ipso facto que c’est l’étranglement qui a tué Eric Garner. Il faut comprendre qu’aucune technique de contrôle d’un individu violent ou agité n’est sans risque. La question est de savoir laquelle est la moins risquée, compte tenu des circonstances. Et si je me fie à la vidéo de l’événement, l’étranglement porté par l’agent Pantaleo aurait pu, selon moi, conduire à un contrôle de la situation, en causant très peu voire pas de dommages. C’est au contraire bien davantage la suite de l’intervention – après l’étranglement – qui a conduit à la mort d’Éric Garner.
Jusqu’à hier, il ne s’agissait là que de mon avis d’amateur (éclairé). Mais il vient tout juste d’être confirmé par de véritables experts en la matière : Ryron et Rener Gracie, maîtres de jiu-jitsu brésilien et instructeurs mondialement renommés en tactiques d’intervention policière au corps-à-corps.
La vidéo qu’ils viennent de diffuser à propos de la mort d’Eric Garner est exemplaire :
Leur analyse est longue mais définitive. Dans leur style vulgarisateur bien connu des initiés, les deux frères Gracie expliquent clairement que ce n’est pas l’étranglement qui a tué Eric Garner, mais bien plutôt la suite de l’intervention, après que Pantaleo a relâché sa prise du cou.
Ryron et Rener Gracie vont même plus loin et déclarent (à 20’18 ») :
We do think that (…) correct application of vascular neck restraint is not only something that we definitely recommend and promote but it’s something that actually could save lives.
Dans la dernière édition de leur lettre d’information, les frères Gracie citent en référence un rapport fort documenté du Centre canadien de recherches policières datant de 2007. Ils fournissent également le lien vers une synthèse de ce rapport, rédigé par le site du Force Science Institute.
Il en ressort que la strangulation s’avère l’une des techniques de contrôle les plus effectives et les moins dangereuses en contexte d’arrestation policière.
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À propos de Arnaud Palisson
Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.