Avions cargo dans les turbulences terroristes – Une analyse à contre-courant

Le 29 octobre dernier, on apprenait la découverte, au Royaume-Uni et à Dubaï, de deux bombes dissimulées dans des cartouches d’encre pour imprimante. Expédiés depuis le Yémen, ces deux colis piégés devaient rallier Chicago par avion cargo quelques heures plus tard.

Depuis l’annonce de ces événements, la sécurité intérieure américaine et le secteur du transport aérien international ont encore resserré les contrôles à l’encontre des passagers et du fret. Ce double attentat manqué, qualifié dans les pays anglophones de ink bomb plot, a en effet été largement décrit comme l’événement terroriste le plus inquiétant depuis l’attentat du 25 décembre 2009 contre le vol 253 de Delta Airlines entre Amsterdam et Détroit. Dans une allocution, le président américain Barack Obama qualifiait les nouvelles visées d’al-Qaïda envers les avions cargo de « credible terrorist threat ».

Pourtant, ces sensationnalistes ardeurs politico-médiatiques doivent être grandement tempérées.

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De Times Square à la « No Fly List »

La récente tentative d’attentat à la voiture piégée sur Times Square, à New York, nous ramène brutalement – et étonnamment – à la question des no-fly lists. En effet, le 3 mai dernier, soit 53 heures après la découverte fortuite de l’engin explosif, l’auteur de l’attentat manqué était arrêté par les autorités, à bord d’un avion de la compagnie Emirates sur le point de décoller à destination de Dubaï.

On a déjà à peu près tout écrit et tout dit sur la regrettable incapacité du FBI et consorts a empêché le terroriste, Faisal Shahzad, de monter dans l’avion, alors que :

  1. il était inscrit sur la No fly list, la liste la plus restrictive parmi les quatre utilisées aux États-Unis pour assurer la sûreté aérienne,  (cf. ce précédent article, § 2.1)
  2. il était recherché pour un acte terroriste déjà commis (tout du moins tenté).

Ce qui doit ici davantage retenir notre attention est ailleurs. Ainsi, on constatera tout d’abord que si Faisal Shahzad a été arrêté avant le décollage, c’est grâce à une procédure mise en place juste après le 11-Septembre : celle-ci impose à toutes les compagnies aériennes d’adresser aux Douanes américaines le manifeste de leurs vols (depuis ou vers les États-Unis) 30 minutes avant le départ de l’avion. Continuer la lecture de « De Times Square à la « No Fly List » »

Le terroriste ultime

Pour être qualifié de terroriste, il n’est PAS nécessaire qu’un attentat soit motivé par une quelconque idéologie.

La loi canadienne doit, sur ce point, être modifiée.

Heath Ledger n’a pas démérité de son Oscar posthume. Dans Le chevalier noir (2008), il campe un Joker proprement fascinant. Il est vrai que les deux scénaristes ont su conférer au personnage une profondeur qui fait date. Après le fou rigolard des BD classiques, le prince du crime timbré du film de Tim Burton, puis le génie du mal des comics de Frank Miller, le Joker du film de Christopher Nolan incarne désormais le terroriste ultime, celui qui agit sans obéir à la moindre idéologie.

D’aucuns relèveront ici une contrevérité. En effet, dans l’inconscient collectif, un terroriste agit nécessairement dans le but d’imposer un nouveau pouvoir temporel ou spirituel.

Mais est-ce vraiment nécessaire ?

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La détection comportementale – Échec allégué ou succès ignoré ?

On peut dire beaucoup de choses sur la soi-disant efficacité des niveaux de sécurité (security layers) implantés par la Transportation Security Administration (TSA) dans les aéroports américains. Mais s’il en est un qui mérite une réflexion approfondie, c’est bien la détection comportementale. 

USA Today vient de publier un article qui, pour qui sait lire entre les lignes, s’avère extrêmement révélateur. Ainsi, le quotidien américain critique en ces termes ce programme de détection mis en place par la TSA :

Fewer than 1% of airline passengers singled out at airports for suspicious behavior are arrested, Transportation Security Administration figures show, raising complaints that too many innocent people are stopped.
A TSA program launched in early 2006 that looks for terrorists using a controversial surveillance method has led to more than 160,000 people in airports receiving scrutiny, such as a pat-down search or a brief interview. That has resulted in 1,266 arrests, often on charges of carrying drugs or fake IDs, the TSA said.
The TSA program trains screeners to become « behavior detection officers » who patrol terminals and checkpoints looking for travelers who act oddly or appear to answer questions suspiciously.
Critics say the number of arrests is small and indicates the program is flawed. (…)

Répartition des personnes soumises à contrôle suite à une détection comportementaleEn fait, l’article dit une chose et son contraire. Certes, depuis 2006, moins de 1 % des personnes « détectées » ont effectivement été arrêtées. Mais est-ce la preuve de l’échec de ce programme de lutte contre le terrorisme aux aéroports américains ? Rien n’est moins sûr. Tout d’abord, depuis le début du programme, aucun acte terroriste n’a été commis en lien direct avec un aéroport américain. Dire que le projet est un échec ne veut donc rigoureusement rien dire. Par ailleurs, ce sont tout de même 1266 personnes qui ont été interpellées dans les aéroports de l’Oncle Sam pour un acte délictuel. Autant d’actes qui n’auraient pas été repérés par d’autres systèmes de sécurité de la TSA. En conséquence, le programme est déjà une réussite en terme de lutte contre la criminalité aux aéroports.

Les chefs d’arrestation méritent également notre attention : il s’agit principalement de possession de drogues et de fausses pièces d’identité. Or, sur ce dernier point, on touche clairement à un secteur d’activité qui intéresse au plus haut point les organisations terroristes. De fait, le programme de détection comportementale pourrait bien être un succès aussi en matière de lutte contre le terrorisme.

Certes, on peut trouver que 160 000 personnes soumises à un examen approfondi, cela fait beaucoup pour arrêter 1266 délinquants. Mais cela veut simplement dire que les Behavior Detection Officers (BDO) de la TSA ont encore à affiner leurs techniques. En outre, il faut considérer le chiffre de 15 000 personnes soumises à un interrogatoire de police, soit près de 10 % des personnes détectées. Contrairement à ce que semble penser le journaliste de USA Today, cela n’est pas anodin. Cela signifie que dans près de 10 % des cas, les personnes détectées ont suscité l’attention approfondie de la police. Et que, sur ces 15 000 personnes interrogées, la police n’a découvert des éléments probants justifiant une arrestation sur-le-champ que dans 1266 cas. Il faut en effet se souvenir que, avant son attentat de décembre 2001, Richard Reid, le fameux shoe bomber, avait été repéré à deux reprises au départ d’Amsterdam, par la détection comportementale des employés d’El Al. Interrogé par la police, il avait été relâché, faute de preuves. El Al Le laissa embarquer la seconde fois, non sans placer à coté de lui un agent de sécurité de la compagnie qui l’observa durant tout le vol. Comprenant qu’il lui serait impossible de faire exploser un avion d’El Al, Richard Reid s’est alors tourné vers American Airlines

Je trouve pour ma part les chiffres avancés par USA Today particulièrement éloquents. Ils disent en fait tout l’intérêt qu’il faut porter au programme de détection comportementale dans les aéroports. L’article susmentionné prend pour postulat que la détection comportementale menée par la TSA se limite à une observation de mouvements parasites qui trahiraient la volonté criminelle chez une personne malintentionnée. Pour avoir personnellement suivi un séminaire de détection comportementale auprès de la société qui a formé les agents de la TSA, je me contenterai de dire que cette opinion largement répandue est fausse.

La détection comportementale, qui nous vient des services de sécurité israéliens, s’avère au contraire bien plus efficace et moins intrusive que n’importe quel autre security layer mis en place aux aéroports par le Department of Homeland Security (DHS). Et contrairement à ce qu’avancent certains défenseurs des droits civiques américains, la détection comportementale est tout le contraire d’un profilage racial.