Nouvelle mesure de sûreté aux aéroports | Poudre-aux-yeux : 1 – Efficacité : 0

Mercredi dernier, j’étais invité sur le plateau du journal télévisé 24/60, à l’antenne de Radio-Canada-RDI pour parler de la mesure de sûreté nouvellement en vigueur dans les principaux aéroports canadiens – et bientôt dans les aéroports régionaux – et ce, pour tous les vols, internationaux comme domestiques.

En effet, depuis cette semaine, au point de contrôle préembarquement, les passagers sont désormais susceptibles, sur une base aléatoire, de devoir allumer leur tablette ou leur ordinateur portable. Le but officiel de cette mesure est de prouver aux agents de contrôle que l’appareil électronique est véritablement fonctionnel et donc (!) ne dissimule pas un engin explosif improvisé.

Huit minutes d’entrevue, c’était un peu court pour couvrir tous les enjeux en la matière. Je précise donc ici un point important que je n’ai pas eu le temps d’évoquer avec Sébastien Bovet.

Cette nouvelle disposition de sûreté renvoie à la mesure similaire qui avait été instaurée à l’été 2014 – j’y avais alors consacré un long article sur ce blogue. Mais elle était tombée en désuétude quelques mois plus tard, en raison des difficultés opérationnelles qu’elle engendrait. Pourquoi dans ce cas, revient-on à la charge de la sorte trois ans après ? Le contexte serait à priori différent de celui de 2014 et ce, sur deux points :

  • cette mesure ne s’applique aujourd’hui qu’aux seuls passagers sélectionnés aléatoirement (j’en ai parlé lors de l’entrevue),
  • le mode opératoire terroriste considéré se distingue de celui de 2014 sur un point non négligeable.

En effet, il y a trois ans, la façon de dissimuler les explosifs dans les tablettes était – selon les informations disponibles – assez rudimentaire : la charge explosive aurait occupé une large part du volume de l’appareil électronique. Il aurait donc été plutôt facile de la détecter dans les scanneurs de bagage à main.

(c) iStock

Aujourd’hui, en revanche, si l’on en croit des informations qui auraient filtré des services de renseignement américains et britanniques, certains artificiers de groupes terroristes seraient capables de dissimuler les charges explosives de sorte que, vues dans un scanner à bagage de cabine, elles ne puissent pas être distinguées de la batterie de l’appareil.

C’est évidemment un net progrès technique. Mais c’est également une importante limitation sur le plan de l’efficacité opérationnelle.

En effet, comme je l’expliquais dans mon article de 2014, pour espérer détruire un avion en vol à une altitude de croisière, la masse critique d’explosif nécessaire est d’environ 350 g, soit (pour un explosif de type Semtex) 197 cm3. Pour faire tenir l’intégralité de ce volume d’explosif dans une tablette, il faut impérativement un modèle dont la diagonale d’écran est supérieure à 7 pouces ; et il faut vider intégralement la coque pour pouvoir y loger l’explosif.

iPad passé aux rayons X. Les deux masses rectangulaires au centre sont les batteries.

En conséquence, si l’on dissimule l’explosif à l’emplacement des batteries de l’appareil, on ne dispose plus, au mieux, que du tiers du volume intérieur de la coque. Ce qui signifie que la masse critique ne pourra être contenue que dans au moins trois tablettes. Il faudra donc :

  1. que le groupe terroriste envoie en mission trois personnes pour passer autant de tablettes au contrôle préembarquement ET
  2. que les tablettes soient ensuite démontées, les charges explosives réunifiées et l’engin reconfiguré, le tout dans les toilettes de l’aérogare ou de l’avion. Ce qui n’est guère l’endroit idéal pour ce genre de manipulation…

Bien sûr, cela reste possible. Mais c’est tout de même peu probable. J’avais cité dans mon article de 2014 (§ 3.1) deux cas assez semblables survenus par le passé, en précisant toutefois les différences importantes avec l’espèce qui nous intéresse aujourd’hui.

Le risque demeure notable en revanche pour la batterie d’un ordinateur portable, largement plus volumineuse. La mesure peut donc sembler légitime pour ce type d’appareil.

Ordinateur portable passé au scanneur. En haut, à droite, on distingue la batterie, composée de trois cylindres contigus.

Mais la question est alors de savoir si les autorités aéroportuaires sont capables de détecter ce type d’engin explosif improvisé à l’aide de la mesure de sûreté nouvellement instaurée. La réponse m’apparait négative et ce, pour deux raisons, évoquées dans mon entrevue télévisée :

  • la mesure repose sur la sélection aléatoire des passagers, qui est un leurre.
  • elle a pour postulat (faux) que si l’ordinateur s’allume, c’est qu’il ne contient pas d’explosif.

On l’aura compris, cette nouvelle mesure ne servira pour ainsi dire à rien. Peut-être – comme en 2014 – incitera-t-elle les gestionnaires d’aéroport à installer davantage de prises électriques en zone publique des aérogares. Mais pour ce qui est de contrer le mode opératoire terroriste considéré, ne rêvons pas.

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.