Sureté d’aéroport pour parc d’attractions : le ratage de « La Ronde » à Montréal

TerrorismeLes nouvelles mesures de sureté à l’entrée du parc d’attractions La Ronde de Montréal sont une parfaite illustration du concept de poudre aux yeux sécuritaire. Totalement inefficiente, cette parodie de réponse antiterroriste conduit à se demander si l’on n’a pas rogné sur des budgets autrement plus importants pour la sécurité des clients (entretien des manèges, protection contre les incendies, formation au secourisme,…).

Cette fin de semaine, plein soleil et températures estivales obligent, c’est en famille que nous avons débarqué sur l’Ile-Ste-Hélène, pour profiter de l’ouverture de la saison 2016 à La Ronde, le grand parc d’attractions de Montréal.

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Mais à notre arrivée, une file d’attente serpentine s’étendait sur environ 400 mètres. Pourquoi un achalandage aussi massif, tel que je n’en avais jamais constaté (en tant que père de famille, je suis un habitué des lieux) ? La réponse m’est rapidement apparue dans toute son évidence et son horreur : sous le grand porche d’accès au parc, j’ai repéré la silhouette bien connue des portiques détecteurs de métaux !

detector_gateEn effet, cette année, La Ronde a renforcé le contrôle d’accès des visiteurs. À la fouille des sacs, s’ajoute donc désormais le contrôle des objets métalliques sur la personne des visiteurs.

Il ne fait guère de doute que La Ronde, filiale de la société américaine Six Flags, fait ainsi les frais de la dérive sécuritaire qui sévit un peu partout chez nos voisins du sud.

Le « gros bon sens » nous murmurerait à l’oreille : Allons, c’est normal, avec ces attentats terroristes ! Et avec le monde qu’il y a dans le parc, une bombe ferait de nombreuses victimes. Cela vaut bien la peine de faire la queue deux fois plus longtemps.

Désolé, mais, comme souvent, le gros bon sens se trompe. Car les nouvelles mesures de sûreté de La Ronde sont un cas exemplaire de poudre aux yeux sécuritaire, inefficiente et hautement contre-productive en termes de gestion des risques.

La menace

Pour savoir si ces mesures sont justifiées, il faut tout d’abord s’intéresser à la menace, c’est à dire aux groupes ou personnes qui auraient l’intention ET les capacités de s’en prendre au parc d’attractions et à ses visiteurs.

Il convient ici d’éliminer de l’équation la criminalité de droit commun (petite ou organisée). En effet, dans de tels lieux fortement achalandés, les infractions relèvent surtout de la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. Dans cette hypothèse, le contrôle des objets entrant dans le parc est inopérant.

Si les contrôles peuvent effectivement décider M. Toutlemonde à ne plus s’embarrasser d’un hamburger fait maison, ils ne dissuaderont pas un éventuel terroriste de passer à l’acte.

Quant aux violences aux personnes, elles peuvent se produire fortuitement dans n’importe quel lieu public. Et si les violences sont préméditées, avec éventuellement l’usage d’une arme, force est de constater que, compte tenu de son achalandage, La Ronde ne constitue certainement pas le meilleur endroit pour régler ses comptes.

Reste donc – évidemment – la menace terroriste.

Peut-on imaginer une ou plusieurs personnes fomenter un attentat dans le parc d’attractions ? Oui, sans conteste. Infrastructure complexe par excellence, recevant du public en grand nombre – notamment des familles -, sur un vaste territoire, La Ronde pourrait représenter une cible terroriste.

Quel serait le but recherché par les attaquants ? Le même que celui du commando de Paris le 13 novembre dernier : frapper une démocratie dans un lieu de loisirs et d’insouciance, pour marquer les esprits et terroriser la population. Espérant ainsi faire pression sur le gouvernement, pour une raison ou pour une autre (le terroriste n’est pas que jihadiste).

Quels modes opératoires les terroristes pourraient-ils utiliser ?

D’autres modes opératoires sont évidemment possibles, mais dans le cadre de cet article, limitons-nous à ceux-là.

Or, pour contrecarrer ces MO, les mesures de sureté mises en place à l’entrée de La Ronde sont inefficaces, et ce, à trois niveaux.

Attention : il est hors de question pour moi de jouer ici la carte du sensationnalisme. Il est probable qu’aucun attentat ne se produira jamais dans ce parc d’attractions. Je ne dresse pas un index alarmiste en déclamant le leitmotiv suranné de certains “spécialistes en sécurité” : « It’s not a matter of ‘if’, it’s a matter of ‘when’.»

Je dis simplement ceci : si les nouvelles mesures de contrôle d’accès de La Ronde sont faites pour éviter des attentats terroristes, alors, c’est complètement raté et c’est un gâchis de temps, d’argent, de personnels. Ces ressources seraient bien plus efficaces si elles étaient affectées ailleurs.

Quant à ceux qui me reprocheront de faciliter ici la tâche des terroristes en révélant les failles du système de sureté du parc d’attractions, je renverrai au principe de Kerkhoffs (et plus particulièrement à son corollaire, la maxime de Shannon). Car lesdits éventuels terroristes n’auraient pas besoin de mon humble contribution pour fomenter un attentat. N’importe quel visiteur de La Ronde, cette fin de semaine, était en mesure de faire les mêmes constatations que moi et de prendre les mêmes photographies.

Merci de ne pas tirer sur le facteur.

1 – La file d’attente

L’entrée en vigueur de ces nouvelles mesures de sureté à La Ronde a créé une file d’attente démesurée. Ainsi, cette fin de semaine, ce sont des centaines de personnes qui devaient faire le pied de grue durant 30 à 45 minutes avant de passer les grilles du parc.

On a reproduit ici magnifiquement le schéma sécuritaire des autorités chinoises à l’entrée de plusieurs stations du métro de Beijing, suite aux attentats susmentionnés de 2014.

Métro de Beijing, 2014 – Photo de Kevin Frayer/Getty Images

Les photos que j’ai prises cette fin de semaine à La Ronde sont peut-être un peu moins spectaculaires, mais elles n’en illustrent pas moins la même problématique.

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Quels que soient le ou les modes opératoires choisis par les terroristes (ceinture d’explosifs détonée dans la file, coups de machette à l’aveugle, mitraillage,…) cette queue de 400 mètres de long formée de près d’un millier de personnes (dont des centaines d’enfants) est une opportunité idéale pour faire un maximum de victimes.

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Comme vous pouvez le constater sur la photo ci-dessous, la partie centrale du terre-plain est quasiment vide. Or, l’accès y était laissé libre pour permettre aux personnes n’ayant pas de tickets d’aller en acheter aux kiosques (à l’extrême droite de l’image).

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Imaginez ce qu’une poignée de personnes armées de Kalachnikov pourraient faire depuis cette position.

Parqués entre des barrières, compliquant une éventuelle riposte vers les agresseurs mais également leur fuite dans la direction opposée, les visiteurs font des cibles idéales.

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Je republie ici la vidéo (bien connue mais apparemment pas comprise par tout le monde) de la scène de l’aéroport dans le jeu vidéo Call of Duty – Modern Warfare 2.

Pour les gens de sécurité qui n’auraient toujours pas saisi, je conseille de revoir – certes avec horreur mais surtout avec profit – les enregistrements des caméras de surveillance et les photographies des terrasses de restaurants de l’Est parisien au soir du 13 novembre dernier, ou les clichés du hall de la gare de Chhatrapati Shivaji à Mumbai au lendemain des attentats de 2008…

2 – le contrôle à l’entrée du parc

Une fois parvenu aux grilles d’entrée du parc, le visiteur fait l’objet d’un double contrôle.

Tout d’abord, une fouille manuelle et surtout visuelle des sacs. J’insiste sur ce point : la fouille est superficielle. Dans mon cas, sur les 4 poches extérieures fermées par une fermeture Zip de mon sac à dos, l’agent de contrôle n’en a ouvert que 2… Et dans les deux pochettes contrôlées, l’inspection a été sommaire.

Autant dire que si j’avais cousu une poche secrète dans un double fond du sac et y avais glissé un Beretta 92 avec trois chargeurs à 15 cartouches ou 1 kg de Semtex avec détonateur, l’agent de sécurité n’y aurait vu que du feu (pun intended).

Et là, d’aucuns me rétorqueront : Oui mais, il y a le portique à détection métallique !

Oui… mais non. Car le visiteur passe sous le portail métallique SANS son sac, qui est posé sur une table à côté mais à l’extérieur du détecteur ! Là où viennent le rejoindre les porte-feuille, porte-monnaie et autre téléphone cellulaire du visiteur, avant que celui-ci ne traverse le portique.

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La Ronde espère-t-elle sérieusement arrêter des terroristes de 2016 avec une sureté opérationnelle des années 1980 ?

Le terroriste n’a plus ensuite qu’à reprendre ses effets et à s’éloigner vers les manèges et les comptoirs à barbe-à-papa. L’arme est entrée sans encombre dans le parc d’attractions.

L’explication de cette pratique lacunaire est désespérément simple : si je passe sous le portique avec mon sac (qui contient certainement divers objets métalliques), je vais excéder le seuil de tolérance de la machine et déclencher une alarme. Il faudra alors :

1. que je repasse dans le portique sans mon sac (sans déclencher d’alarme) ;

2. que l’on passe mon sac (sans moi) dans le portique – ce qui déclenchera une alarme et permettra de déterminer que le problème vient bien de mon sac et pas de ma personne ;

3. vider entièrement le sac pour trouver la source de l’alarme.

Et cela se produirait quasiment pour chaque visiteur ! On comprend que cette pratique serait chronophage et allongerait davantage la file d’attente. C’est certainement pour cette raison qu’elle a été exclue du processus de contrôle des accès à La Ronde.

Nouvelle attraction à la Ronde : “Back to the Future : Airport Security 1980”

Jusqu’à la saison dernière, les fouilles de sac avait pour but premier d’éviter que des petits malins fassent entrer de l’alcool (sage précaution) ou passent leur sandwich en contrebande (mesure purement mercantile : il y a pléthore de points de vente de nourriture à l’intérieur du parc).

Mais cette année, finie la simple chasse aux amateurs de Molson Dry. Désormais, on joue en ligue majeure : on détecte les terroristes. Au plus exactement, on fait semblant.

Car si les contrôles peuvent effectivement décider M. Toutlemonde à ne plus s’embarrasser d’un hamburger fait maison, ils ne dissuaderont pas un éventuel terroriste de passer à l’acte.

Quand on sait comme la sureté aéroportuaire a évolué en trente ans, notamment en termes technologiques, pour parer à des modes opératoires de plus en plus sophistiqués. Et que, en dépit de ces efforts considérables, certains individus malintentionnés parviennent encore à passer à travers les mailles du filet…

Le département de sécurité du parc d’attractions (ou plus vraisemblablement celui de la compagnie Six Flags) semble ignorer les explosifs liquides, les couteaux en céramique, les armes dissimulées dans les semelles de chaussure, les armes à feu en plastique imprimées en 3D,… Bref, toutes les évolutions technologiques des groupes terroristes qui mettent à dure épreuve des systèmes de sureté autrement plus avancés.

La Ronde espère-t-elle sérieusement arrêter des terroristes de 2016 avec une sureté opérationnelle des années 1980 ?

Et quand bien même le service de sécurité du parc imiterait les aéroports, avec force fouilles corporelles, scanneurs de bagage à main et autres scanneurs corporels, cela ne serait d’aucun effet sur l’une des failles majeures de tout système de sûreté d’infrastructure complexe :

3 – Les infiltrés parmi les employés

Ici comme ailleurs, l’un des enjeux majeurs de sureté demeure l’employé malintentionné, l’insider. Celui qui travaille dans l’environnement à attaquer et qui est recruté, voire infiltré, par le groupe terroriste afin de faciliter l’exécution de l’attentat.

Les employés sont-ils mieux fouillés que les visiteurs ? J’en doute. La Ronde fait travailler chaque année des centaines de saisonniers. Chaque personne fait-elle l’objet d’une sérieuse enquête de préembauche ? J’en doute sérieusement.

Une autre brèche béante par laquelle s’engouffrerait une cellule terroriste.

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La Ronde est une infrastructure complexe comme une autre. Comme la gare ferroviaire Bonaventure, comme la gare d’autocars, comme les galeries commerciales de la ville souterraine, comme les stations de métro,… Est-il légitime d’y implanter des mesures de contrôle d’accès dignes des aéroports ? Est-ce une priorité ? Est-ce vraiment de la sorte que l’on entend protéger la population en dilapidant l’argent public, au détriment d’autres méthodes autrement plus efficientes (mais moins visibles du public, donc moins intéressantes pour les responsables) ?

Mais au-delà de cet enjeu essentiel en gestion des risques, il faut surtout relever que, si La Ronde entend de la sorte jouer la carte de la sécurité antiterroriste, c’est d’ores et déjà un échec. Or, ce ratage a un prix. Car les considérables ressources (en temps en argent, en matériel et en personnel) qui y sont affectées n’iront pas ailleurs.

La vraie question est donc la suivante : en finançant cette parodie de sureté antiterroriste, le parc d’attractions n’est-il pas contraint de rogner sur le budget d’entretien des manèges, de protection contre les incendies, de formation en secourisme, en contrôle des foules en cas de panique, etc. ?

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.