Ce qu’une série télé américaine nous apprend sur l’état d’urgence en France

TerrorismeMercredi matin, je découvrais dans la presse les derniers avatars de la lutte contre le terrorisme menée par le gouvernement français.

Il s’agissait cette fois :

    • d’élargir considérablement le Droitrégime de la légitime défense des policiers,
    • de permettre des fouilles à la tête du client,
    • d’effectuer des perquisitions de nuit même en enquête préliminaire,
    • de transférer certains pouvoirs du juge au préfet (ce grand défenseur des libertés qui s’ignore),…

Pire encore : il était question de faire passer cette réforme tout sauf anodine par voie d’ordonnances, court-circuitant ainsi largement le vote par la représentation nationale !

Mon sang de juriste criminaliste n’a fait qu’un tour.

Enfin… un tour de plus. Car depuis les attentats du 13 novembre, je suis continuellement affligé par la réponse antiterroriste des autorités françaises. Non seulement ce florilège de mesures repose sur une vision surannée de la menace, mais surtout il conduit à des atteintes toujours plus graves aux libertés publiques et à la liberté individuelle.

Et les mesures annoncées cette semaine portent à de nouveaux sommets l’insulte faite aux idéaux de la République.

Alors que l’état d’urgence est sur le point de se transformer en coup d’État permanent, j’aurais pu me lancer ici dans une diatribe enflammée de pénaliste exalté, qui crie d’autant plus fort qu’il est éloigné du théâtre des opérations.

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Pierre Desproges

guillemetAh bien sûr, si j’avais cette hargne mordante des artistes engagés qui osent critiquer Pinochet à moins de 10 000 km de Santiago… Mais non, je n’ai pas ce courage. (…) je suis un artiste dégagé.

Je suis pour ma part un observateur dégagé – au Canada… Aussi ai-je préféré ne pas ajouter à la cacophonie entonnée par « des philosophes de comptoir, des éditorialistes omniscients et quelques personnalités médiatiques aux compétences mal cernées » comme les appelle Jacques Raillane, notre maître à tous, nous, les « anciens-des-services-de-renseignement-et-de-l’antiterrorisme-passés-au-privé-ou-à-l’étranger-et-devenus-blogueurs ».

Plutôt que de me livrer à une longue analyse juridique, j’ai donc choisi d’emprunter une voie radicalement différente : celle de la culture populaire.

Je vous entends d’ici : « Sur un sujet pareil, il aurait pu se forcer un peu et nous pondre quelque chose un brin plus stimulant sur le plan intellectuel.» Détrompez-vous, l’exercice n’est pas futile.


Il se trouve que mardi dernier, quelques heures avant de découvrir la nouvelle gifle que Taubira, Cazeneuve et consorts vont asséner à la démocratie française, je terminais le visionnement de la série télévisée Wayward Pines (2015). Une autre claque, mais celle-là est du genre à réveiller les consciences (et non à les étourdir).

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Wayward Pines est à l’origine un ensemble de trois romans écrits par l’Américain Blake Crouch et publiés entre 2012 et 2014.

Photo by Carlos Alvarez/Getty ImagesLa trilogie a été rapidement adaptée pour la télévision, sous la férule de M. Night Shyamalan. Producteur de la série et réalisateur du premier épisode, Shyamalan est avant tout un auteur-réalisateur de cinéma, à qui l’on doit trois films à succès : Sixième Sens, Incassable et Signes. Trois films que je qualifierais de « navrants ».

le_villageJ’ai en revanche véritablement apprécié ses deux opus suivants, La jeune fille de l’eau et surtout le remarquable Le village.

D’ailleurs, à la lueur de ce long-métrage, on comprend immédiatement ce qui a intéressé Shyamalan dans les romans Wayward Pines.

Mais je n’en dirai pas plus car il est pour moi hors de question de spoiler l’un ou les autres. Aussi, pour présenter la série, je m’en tiendrai à une accroche sibylline :

burkeL’agent de l’U.S.  Secret Service, Ethan Burke (Matt Dillon) est envoyé enquêter sur la disparition de deux de ses confrères, dans un coin perdu de l’Idaho.

Victime d’un accident de la route, il revient à lui en forêt. En sortant des bois, il se retrouve dans la proprette bourgade de Wayward Pines.

Mais Burke s’aperçoit rapidement que ses habitants vivent la peur au ventre. Et qu’il est impossible de sortir de la ville…

Avec pareille bande-annonce, si vous n’avez pas envie de voir cette série, je ne peux plus rien pour vous.

Un Twin Peaks bis ? Mauvaise pioche.

Si l’on devait situer Wayward Pines dans le paysage télévisuel, ce ne serait certainement pas du côté de Twin Peaks. On est bien davantage dans les environs du Prisonnier (1967), mais aussi de Lost – Les disparus (2005). J’en vois qui haussent les sourcils… Je vous rassure tout de suite : Wayward Pines n’est PAS un point-d’interrogation-long-de-121-épisodes-se-terminant-en-queue-de-poisson. Ici, en dix épisodes, tout est plié. C’est dense, rapide (peut-être même un peu trop) et hautement addictif.

La révélation du cinquième épisode nous scotche à notre fauteuil. Le brillant thriller fantastique ouvre soudain bien d’autres perspectives dramatiques et vire à l’exercice de science politique.

Ethan Burke, qui voulait faire voler en éclats l’univers orwellien de la ville, en devient malgré lui un ardent défenseur. Mais le voilà déjà confronté à un groupe clandestin de violents contestataires et à une menace distincte autrement plus inquiétante.

Vous avez dit « dystopie » ?

L’utopie dysfonctionnelle est à la mode : Hunger Games, Divergente, Le passeur, Le labyrinthe. Mais Wayward Pines en offre une représentation autrement plus saisissante. Car la petite ville de l’Idaho n’est au final ni utopique, ni nécessairement condamnée à être dysfonctionnelle.

Malheureusement ses autorités multiplient les fautes politiques.

keepDans Wayward Pines, on ne voit pas l’ombre d’un musulman radical, mais divers égarements de la lutte antiterroriste sont magistralement pointés du doigt. Ah, ce moment où le Lider Maximo local assène à ses adeptes : «Report anything suspicious»…

Et l’on (re)découvre que, en matière de gouvernance, si la transparence absolue n’est pas tenable, l’obscurité totale est bien pire.

Malgré leurs louables objectifs, les maîtres de Wayward Pines tentent de maintenir la ville à flot en usant de la peur et de funestes méthodes de contrôle des populations.

Wayward-Pines-RulesDu village Potemkine aux Jeunesses hitlériennes, en passant par Big Brother, les exécutions publiques, les lois absconses et  même le Lebensborn, Wayward Pines revisite l’errance des régimes totalitaires.

Le constat est sans appel ; et c’est la leçon suprême de cette série :

Même avec les meilleures intentions du monde, un État qui veut assurer sa survie avec les armes de la dictature devient une dictature.


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Ethan Burke saura-t-il empêcher sa communauté de tomber dans l’abîme ? Vous le saurez en regardant la série Wayward Pines jusqu’au bout.

(c) Getty Images

Le gouvernement français saura-t-il redresser la barre avant de céder les rênes à un parti autrement plus radical qui, dès sa prise de pouvoir, disposerait d’outils d’oppression dont il n’avait même jamais rêvé ? Vous le saurez… l’année prochaine.

En attendant, comme disait l’autre, indignez-vous !

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.

2 réponses sur “Ce qu’une série télé américaine nous apprend sur l’état d’urgence en France”

  1. D’accord, vendu pour Wayward Pines: d’autant plus étant donné que la scientologue Juliette Lewis est partie de la distribution: une ironie à savourer. Bien à toi, de notre Wayward Pines à nous (?), Paris.

    1. Ah, le personnage de Juliette Lewis dans Wayward Pines
      Mais non, je ne te dirai rien… 😉

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