Santé publique : la menace antivaccin vient surtout de l’intérieur

SectesRestreindre les cas légaux d’exemption de vaccination ne suffit pas – loin s’en faut – pour limiter les épidémies virales et préserver la santé publique. En effet, c’est l’exception légale la plus légitime (la contre-indication médicale) qui, paradoxalement, permet à l’antivaccinisme de prospérer dans les pays occidentaux.

La question de l’opposition à la vaccination revient en force ces derniers temps :

Malgré les dizaines de milliers de kilomètres qui nous en séparent, la situation australienne se révèle fort intéressante car elle donne une idée de la problématique aux niveaux légal, politique et administratif. Et elle est l’occasion de mettre en évidence la principale chausse-trappe qui guette la lutte contre l’antivaccinisme.

Le projet de loi australien

La loi australienne sur l’assistance familiale (qui date de 1997) prescrit que les prestations familiales ne sont versées qu’aux parents dont les enfants ont été vaccinés contre certaines maladies.

À titre de comparaison, en France, les parents réfractaires encourent un emprisonnement de 6 mois et une amende de 3750 € maximum.

Mais cette loi australienne prévoit quatre exceptions, à savoir l’invocation de raisons :

  1. personnelles,
  2. philosophiques,
  3. religieuses,
  4. ou médicales.

Le gouvernement de Tony Abbott est en passe de restreindre ces exceptions. Dès lors, ne serait plus recevables que deux cas :

  1. la contre-indication médicale, certifiée par un médecin,
  2. l’incompatibilité religieuse, attestée par déclaration écrite émanant d’une autorité religieuse.

Ceux qui se prévalaient de la fameuse clause de conscience devront donc désormais faire vacciner leurs enfants s’ils veulent continuer de toucher les allocations familiales.

Nombre de commentateurs aux antipodes soulignent l’audace de ce projet de loi. En fait, à nos yeux, il est encore beaucoup trop réservé. Et ce pour deux raisons.

1. L’exception religieuse laisse les portes grandes ouvertes

Comme je l’expliquais ici pour la loi française de 2011 interdisant de dissimuler son visage en public, une simple exception légale fondée sur des raisons religieuses peut tailler en pièces le but recherché par la loi elle-même.

Il en va de même pour la loi australienne sur l’obligation vaccinale. Même la sénatrice Meg Lees, pourtant à l’origine de l’amendement sur les exceptions dans la loi de 1997, est aujourd’hui favorable à leur restriction. Selon elle, les exemptions pour raisons religieuses sont dangereuses et contreproductives car :

If we allow the religious exemption we’ll have people sign up to all kinds of wacky religions.»

Meg Lees

C’est tout-à-fait exact ! Et c’est précisément la raison pour laquelle ce même gouvernement Abbott vient de refuser de rendre public le nom d’un groupe religieux à qui l’administration reconnait le droit de s’opposer à la vaccination de ses membres :

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En Australie, une religion de circonstance a été créée en 2007 dans le but exprès de contourner la loi sur les vaccinations obligatoires. Aussi la sénatrice Lees et d’autres parlementaires prônent-ils désormais une seule exception légale : la contre-indication à la vaccination pour raisons médicales.

C’est un pas dans la bonne direction. Mais un pas seulement. Car en s’arrêtant ainsi en chemin, les tenants de cette approche manquent quand même le bateau. En effet, la position antivaccinaliste d’un nombre limité d’organisations religieuses est une question accessoire. Le principal problème réside ailleurs.

2.  Le Cheval de Troie de l’antivaccinisme : l’objection de conscience… des médecins

Même si la loi australienne ne reconnait plus les raisons personnelles, spirituelles ou philosophiques, cela ne veut pas dire pour autant que ces exceptions sont obsolètes.

En effet, la vraie problématique de l’antivaccinisme réside dans le fait qu’une myriade de médecins sont de farouches opposants à la vaccination. Et ils n’en font pas mystère – bien au contraire. Quantité de parents d’enfants non vaccinés n’ont donc éprouvé aucune difficulté à trouver les cabinets de ces praticiens et à tirer parti de leurs convictions antivaccinalistes (fussent-elles d’ordre spirituel ou philosophique).

En France, par exemple, l’un des chantres de l’antivaccinisme est un certain Alain S. Il est célèbre pour avoir, des décennies durant, signé à tour de bras des certificats médicaux de contre-indication à la vaccination et ce, même après sa radiation à vie de l’Ordre des médecins, survenue en 1996.

À l’image de ce certificat médical, qu’il avait délivré un an après sa radiation, tout en affichant sans vergogne un titre de docteur en médecine dont il n’avait plus le droit de se prévaloir :

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Rien qu’en France, dans les milieux des médecines douces et notamment de l’homéopathie, on dénombre des dizaines – voire des centaines – de médecins antivaccins.

Pour espérer enrayer l’antivaccinisme, il faudra en outre élaborer un processus de validation/contrôle des certificats médicaux de contre-indication à la vaccination.

Car non, le titre de docteur en médecine n’immunise pas contre les croyances scientifiques aberrantes. Comme nous le prouvent les cas de Luc Jouret (co-fondateur de l’Ordre du Temple Solaire), de Ryke Geerd Hamer ou encore Guylaine Lanctôt – pour ne citer que quelques-uns des plus médiatisés.

L’exemple révélateur des médecins scientologues

Signalons enfin le cas particulier de l’Église de scientologie. On peut en effet considérer que l’organisation de L. Ron Hubbard fait partie de la mouvance antivaccin.

(c) New Era PublicationsDans son livre séminal, La Dianétique – La puissance de la pensée sur le corps, Hubbard expliquait que toutes les maladies psychosomatiques peuvent être soignées par sa thérapie du mental, la dianétique.

Or, selon lui, 70 % des pathologies sont psychosomatiques, c’est-à-dire qu’elles sont causées par un blocage mental appelé engramme, que la dianétique permet de faire disparaître. Parmi ces maladies psychosomatiques, on trouve… la tuberculose :

guillemetUn  certain nombre de maladies microbiennes, dont la tuberculose, sont causées et perpétuées par les engrammes. (…) Lorsqu’on élimine les engrammes d’un individu, non seulement on le débarrasse de ses maladies psychosomatiques (potentielles, aiguës ou chroniques), mais on l’immunise contre les états pathologiques. (…)»

L. Ron Hubbard, La Dianétique,
New Era Publications, 1986, p. 113 et 124

Oubliez donc les vaccins antituberculiniques, qui sont inefficaces et, surtout, qui polluent encore davantage le corps ! Hubbard a justement instauré un processus obligatoire pour tout nouveau scientologue afin de détoxifier son organisme. Ce programme de purification est un préalable aux séances de thérapie dianétique.

L’un des prérequis pour suivre ce programme de purification est l’obtention d’un certiticat médical d’aptitude. Or, dans la grande majorité des cas, ce certificat est rédigé par un médecinscientologue. Et peu importe que, ce faisant, ledit médecin participe à un exercice illégal de la médecine – comme je le démontre dans ma thèse de doctorat en droit criminel (pp. 45 à 197).

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Quand bien même une loi permettrait l’exemption de vaccination uniquement pour des raisons médicales, il ne s’agirait là que d’une condition nécessaire mais non suffisante.

Pour espérer enrayer l’antivaccinisme, il faudra en outre élaborer un processus de validation/contrôle des certificats médicaux de contre-indication à la vaccination.

Ce sera là une âpre bataille politique, légale, administrative, sociétale. Mais ce n’est qu’à ce prix que les administrations de santé publique des pays industrialisés pourront espérer juguler les épidémies virales par la vaccination.

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.

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