Scanneurs à liquides dans les aéroports : un double gaspillage

Airplane!Quand le sage montre la lune,
l’imbécile regarde le doigt.

Proverbe chinois

En 2006, les autorités britanniques découvraient un complot de jihadistes affiliés à Al-Qaïda, visant à faire exploser en vol une dizaine d’aéronefs de transports de passagers au départ de Londres, à destination des États-Unis et du Canada. Les terroristes prévoyaient de monter à bord des bombes à base d’explosifs liquides, non détectables en tant que tels par les scanneurs à bagages de cabine.

L’événement plongea aussitôt le landerneau de la sureté aérienne dans la consternation. [La menace des explosifs liquides existait alors déjà depuis douze ans, mais bon, passons…]

LAG-bagCette peur rétrospective a débouché sur ce qui restera dans les annales comme la plus contestable des mesures de sureté aéroportuaire : la fameuse règle des 3-1-1. [Mais là aussi, passons…]

Voilà des années que l’industrie du transport aérien tente de se débarrasser de cette mesure. Et tant pis si c’est pour la remplacer par une autre, elle aussi fort discutable.

En effet, tous les espoirs sont fondés aujourd’hui sur des scanneurs pour liquides, aérosols et gels (LAG).

L’attente touche à sa fin. Par exemple, on apprenait récemment que 65 aéroports européens ont acquis des modèles Insight100 (spectroscopie laser) pour une prochaine implantation aux points de contrôle passagers.

Un autre modèle, le MobiLab BLS (résonance magnétique) vient d’obtenir la certification de la Conférence européenne de l’aviation civile.

Une telle obstination technologique me plonge dans des abimes de perplexité.

On ne tire pas sur une ambulance, dit-on. Aussi, je me contenterai ici de poser deux questions qui fâchent.

1 – Veut-on que les passagers arrivent désormais à l’aéroport cinq heures avant de décoller ?

Depuis que les mesures de sureté renforcée ont été mises en place, au lendemain des attentats du 11-Septembre, les voyageurs sont priés de se présenter à l’aéroport au moins 3 heures avant le départ. Si l’on devait généraliser aujourd’hui ces scanneurs à LAG, ce délai serait considérablement allongé.

En effet, dans les deux vidéos ci-dessus, on constate que le scan de chaque conteneur (tube, flacon, bouteille,…) prend (en moyenne) :

  • 5 secondes, pour le Insight100,
  • 8 secondes pour le MobiLab BLS.

C’est peu, dira-t-on. Oui… et non. Car la logique arithmétique est implacable.

Problème
  • Sachant qu’un avion s’apprête à embarquer 200 passagers ;
  • Sachant que chacun de ces passagers a en moyenne, dans son bagage de cabine, 3 conteneurs de liquide, aérosol ou gel ;

cubescrambledCalculez le temps moyen supplémentaire nécessaire pour contrôler les LAG des 200 voyageurs, selon que les points de contrôle passagers de l’aéroport sont équipés d’un scanneur de type Insight100 ou MobiLab BLS.

Résolution

On considère que le temps de contrôle d’un LAG comprend :

  • le temps du test proprement dit,
  • + 5 secondes environ pour la manipulation de l’objet (saisir l’objet à scanner, le placer dans l’appareil, enclencher la procédure de test, retirer l’objet, le replacer parmi les effets du passager).

Temps supplémentaire à prévoir avant d’embarquer = temps de contrôle d’un LAG × nb de contenant de LAG par passager × nb de passagers sur le vol, soit :

  • cube_solvedavec un scanneur Insight100 :

(5 + 5) × 3 × 200 = 6000 secondes = 1 h 40

  • avec un scanneur MobiLab BLS :

(8 + 5) × 3 × 200 = 7800 secondes = 2 h 10

Si l’on ajoute ce temps au délai de 3 heures présentement en vigueur, les passagers devront désormais se présenter à l’aéroport environ 5 heures avant le décollage.

En termes d’opérations aéroportuaires, c’est une catastrophe. Mais il y a pire : de tels appareils n’amélioreront aucunement la sureté du vol ! En effet :

2 – À quoi sert ce scanneur si l’explosif liquide est placé sur le corps du terroriste, lorsqu’il passe par le portique de détection métallique ?

On semble avoir oublié que ces scanneurs ne devraient pas être conçus ni employés pour agacer M. et Mme Toutlemonde, mais pour détecter des individus particulièrement malintentionnés, dont l’objectif est précisément de contourner les mesures de sureté.

Comme je l’écrivais en 2011, dissimuler les explosifs liquides (et/ou sans élément métallique) sur son corps permet de les passer à travers le portique de détection métallique sans déclencher d’alarme.

C’est précisément ce qu’a réussi à faire Umar Farouk Abdul Muttalab, le fameux Underwear Bomberen décembre 2009.

Et c’est ce que, l’année dernière, un jihadiste d’Al Qaïda s’apprêtait à faire, avec un dispositif similaire mais plus sophistiqué.

Heureusement, le porteur de la bombe s’avéra être un agent double du FBI, qui remit l’engin aux autorités.

On rétorquera : « Et les scanneurs corporels ? » Malheureusement, de ce côté-là, comme j’ai eu maintes fois l’occasion de le rapporter, ce n’est pas très reluisant (123).

En conclusion, le scanneur à LAG est un appareil parfaitement inutile pour arrêter des terroristes. Il est en revanche parfait pour hausser encore davantage le niveau de désagrément de M. et Mme Toutlemonde dans les aéroports.

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.

Une réponse sur “Scanneurs à liquides dans les aéroports : un double gaspillage”

  1. Quand on observe le fonctionnement d’un point de fouille dans un aéroport avec tout le déploiement humain et matériel qui s’y trouve,
    La question qui nous vient à l’idée et l’on n’entend jamais est : Est- ce que ce qui est fait est-il techniquement, efficace ? Mais, voilà qu’en cherchant une réponse à cette question on se trouve à décrire une très longue série de fusibles humains et une très longue série de procédures de contrôles bien visibles qui concourt à justifier que tout est fait pour face à la menace.
    L’observation de toute cette organisation, fait ressortir le fait que cette répétitivité et ce formalisme dans un aéroport ne se traduit que par la hiérarchisation des catégories d’acteurs ( les uniformes), la neutralisation des interactions individuelles directes par les machines comme les scanneurs , les procédures et le déroulement de la fouille qui se fait en public . Est-ce que cela pourrait empêcher d’autres actes terroristes ? J’en doute …..
    Par contre, je crois profondément que, la mesure de sûreté la plus efficace est l’accord tacite entre les personnes à bord d’un appareil, passagers et équipage. Un accord qui sous-entend une riposte en cas de comportement visiblement contraire aux règles qui font que l’avion ira d’un point A à un point B sans encombre fâcheux.Dans ce cas , la sûreté aérienne devient une culture de la vigilance et de ce fait , concerne monsieur toutlemonde.

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