La DGSI, qu’est-ce que c’est ? Une réforme ? – Non, Sire, une révolution.

Théorie du renseignementLe plan de réorganisation du renseignement intérieur français de Manuel Valls n’est pas une énième réforme. C’est à la fois la prise de la Bastille et la Nuit du 4 août.

DCRI

En 2008, la réforme du renseignement voulue par Nicolas Sarkozy se réalisait avec la création de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), fusionnant la Direction de la surveillance du territoire (DST) et la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG).

Une partie des fonctionnaires des RG étaient alors, à leur grand dam, reversés en sécurité publique, dans la nouvelle Sous-direction de l’information générale (SDIG).

Une affaire Merah et quelques rapports parlementaires plus tard, l’actuel ministre de l’Intérieur vient de présenter son plan de réorganisation du renseignement intérieur. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas qu’«une réforme de plus.»

En proposant la création de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Manuel Valls veut aligner le renseignement intérieur sur le renseignement extérieur, pré carré de la DGSE. Le ministre doterait ainsi le renseignement français d’un modèle cohérent, à l’image du Royaume-Uni et de sa dualité MI5 / MI6.

En détachant la DGSI de la Police nationale et en la plaçant sous l’autorité directe du ministre, Manuel Valls ouvrirait le renseignement intérieur à la société civile.

Aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, voilà belle lurette que des spécialistes (analystes, informaticiens, ingénieurs, juristes, historiens,…) sont engagés sur une base contractuelle par les services et agences de renseignement.

En plaçant la DGSI sous l’autorité directe du ministre, Manuel Valls ouvrirait le renseignement intérieur à la société civile.

Or, ce modèle de recrutement existe depuis bien longtemps en France… à la DGSE (même si, boulevard Mortier, l’herbe n’est pas nécessairement plus verte, mais c’est une autre histoire).

Aujourd’hui encore, pour travailler comme spécialiste dans le renseignement intérieur, il faut impérativement être policier. Cela signifie :

  • réussir un concours administratif (d’une rigidité à toute épreuve),
  • puis suivre une formation professionnelle (complètement coupée de la réalité du renseignement),
  • enfin obtenir un poste dans un service de renseignement (ce qui n’est pas une sinécure).

Combien de spécialistes sont ainsi passés à côté d’une carrière dans le renseignement parce que, au choix :

  • ils ont raté un concours administratif d’inspecteur/lieutenant de police qui fait la part belle au bachotage en droit des marchés publics ou interroge sur l’évolution des élevages porcins en ex-URSS entre 1932 et 1954 ;
  • ils n’ont pas souhaité passé un concours de gardien de la paix, de peur (justifiée) de se retrouver à faire la circulation aux abords du boulevard périphérique ;
  • ils n’ont obtenu aucune garantie de la part de l’administration policière qu’à l’issue du concours ou de leur formation initiale, ils seraient « aspirés » dans un service de renseignement ;
  • ils ont été induits en erreur par des fonctionnaires de services spécialisés reconvertis en sergents-recru(men)teurs.

Sur ce dernier point, posons le décor pour les non-initiés : la scolarité à l’école de police se termine sur la séance du choix des postes (je vous renvoie à la scène ad hoc du film Inspecteur la bavure). L’ensemble des postes disponibles est affiché sur le tableau du grand amphithéâtre de l’école de police. Les élèves sont appelés, un à un, par ordre décroissant de leur note finale de scolarité. Et ils cochent sur le tableau le poste choisi.

Quelques jours avant cette séance, les élèves reçoivent une copie de la liste des postes disponibles, histoire de se préparer et de prioriser leurs choix. À la même période, des fonctionnaires descendus de Paris rencontrent des élèves présentant un profil particulier. Bien qu’ils ne détiennent aucune espèce d’autorité administrative, ils promettent monts et merveilles aux jeunes policiers ciblés et leur disent en substance : « Oui, c’est sûr : il y aura un poste réservé pour toi, hors tableau, à la DCRI / DCRG / DST / DNAT… » (rayez les mentions inutiles). Le grand jour arrive mais, manque de bol, de poste réservé, il n’y a point. Et l’élève policier se retrouve contraint de choisir un commissariat de quartier dans le 19ème arrondissement.

Ou alors ces mêmes sergents-recruteurs disent au jeune flic de choisir tel poste car « c’est purement administratif, on s’est arrangé avec le taulier, tu prends ton poste et on viendra ensuite te recruter là-bas pour la DST ». Mais, tel soeur Anne, notre policier stagiaire ne voit rien venir derrière son clavier du bureau des plaintes du commissariat de Sarcelles.

dcrgDans les couloirs des Renseignements généraux – à la Préfecture de Police comme au Ministère de l’Intérieur – , j’ai connu un nombre impressionnant d’informaticiens, de juristes, de traducteurs – et même un docteur en anthropologie… – qui ont tenté l’aventure avec un concours de lieutenant mais aussi de gardien de la paix dans le but ultime de finir au renseignement. Mais les postes en sortie d’école ne sont pas légion. Combien d’années perdues dans les « paniers à salades », devant les salles de dégrisement et les registres de main-courante dans l’espoir d’entrer au Valahalla de la place Beauvau ou de la rue Nélaton ?

dstL’un de mes potes de promo, russophone, passera quatre ans dans un commissariat de Seine-et-Marne avant d’être absorbé par la DST. Mais bien des impétrants ne font pas preuve d’une telle abnégation – et je ne leur en tiens pas rigueur.

En créant la DGSI, Manuel Valls tracerait un trait sur cet archaïsme du recrutement qui, au cours des dernières décennies, a fait perdre au renseignement intérieur bien des pointures.

Par ailleurs, en créant le Service central du renseignement territorial (SCRT), le ministre veut ressusciter les « RG locaux » et redonner au renseignement territorial une vigueur perdue depuis 5 ans. Les préfets en seraient pour leurs frais, eux qui comptent sur les « chaouches » de la SDIG pour diverses basses besognes – comme des « filoches » sur des journalistes.

Lorsque le ministre mentionne l’« ostracisme » dont sont victimes les fonctionnaires de la SDIG, il fait (fort justement) référence à la condescendance dont font preuve à leur encontre leurs collègues de la DCRI, bombardés aristocrates du renseignement civil. Cette réalité est née d’une réforme effectivement survenue trop vite, dans le but à peine voilé de permettre à la DST (1200 fonctionnaires) d’absorber la DCRG (3800 fonctionnaires). À l’approche de la réforme de 2008, nous avions coutume d’imager la situation en disant : « C’est le petit qui va manger le gros ».

Dernier point fort intéressant de la réorganisation prévue par Manuel Valls : l’intégration des gendarmes dans le renseignement intérieur aux fins de contrebalancer l’influence majoritaire de la Défense dans la communauté du renseignement. Subtil.

La révolution est donc en marche. Espérons qu’elle ne s’arrêtera pas en chemin. Le renseignement intérieur français en a grandement besoin.

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.

11 réponses sur “La DGSI, qu’est-ce que c’est ? Une réforme ? – Non, Sire, une révolution.”

  1. les « chaouches » de la SDIG pour diverses basses besognes – comme des « filoches » sur des journalistes.

    Les journalistes sont « filochès  » ? en France ? my good ! Plus d’humanisme et de bien être pour tous seraient peut être une solution à la sécurité mondiale .
    En 1970 on prenait l’avion les mains dans les poches aujourd’hui on ouvre son sac pour faire l’achat d’un clou au BHV ….. le côté positif :une source très rentable pour Bauer et les autres

  2. Je comprend mieux d’où me vient cette impression persistante de bras cassés…C’était donc le mode recrutement par concours la cause. Bon article.

  3. Eh non en fin de compte, pas d’intégration des gendarmes dans le renseignement intérieur. Il y a des limites à tout ! Mais le séisme approche, dans la candeur générale…
    Très bon article Arnaud.

    1. Merci Julien. Quelque part, je trouve un peu dommage que les gendarmes soient ainsi écartés du renseignment intérieur. C’est sûr, ce sont des militaires qui ne sont pas, à priori, totalement solubles dans le civil. Sur le fond, au niveau de la collecte et de l’analyse, il y aurait eu des anicroches. Mais je pense qu’ils auraient pu apporter un peu de rigueur dans la formation en renseignement et dans la phase de diffusion.

      1. Le manque de rigueur, c’est bien ce qui caractérise certains préfets( de mon point de vue). En tant qu’organisation de chômeurs nous sommes tantôt vus comme des partenaires sociaux, tantôt vus comme des terroristes, au gré des humeurs des préfets successifs, alors que dans le même temps des barbus de RP viennent en nombre -faire du prosélytisme ?-dans la mosquée locale au moment de l’aïd et que des gangs des pays de l’est récupèrent des ordinateurs-et leur données ?-, nuitamment, dans les déchetteries du coin. Ce qui est une aberration, au vu du nombre de civils accrédités « secret défense » qui vivent avec leur famille dans le Cotentin (DCNS,AREVA…)…l’ordinateur d’un ado peut très bien contenir des informations familiales et servir de moyen de pression ou de chantage, voire simplement de renseignement brut. Certains ex-RG, avec lesquels nous avons l’occasion de discuter lors des petites manifs que l’on organise se plaignent de ce jeu de yoyo. Peut être que si les agents de terrains ne dépendaient que qu’une sorte de « conseil régional du renseignement », rattaché à la région militaire, la cohérence entre les différentes agences, civiles et militaires, serait assurée ainsi que la continuité stratégique. On pourrais imaginer ce conseil, doté de pouvoir consultatif , et d’une réelle capacité d’analyse , d’accès aux archives etc…Ce conseil serait chargé autant d’évaluer la situation de terrain que de mesurer les politiques mises en oeuvre et leur conséquences. Le préfet pourrait s’appuyer sur ses recommandations, mais n’aurait pas de pouvoir de fixer la feuille de route du renseignement. Sauf à considérer le préfet comme un superman, qu’il n’est plus, et les mauvaises langues diront; qu’il n’a jamais été.

        1. C’est intéressant que vous mentionniez le rôle des préfets, car dans un article que je traduis actuellement et que je publierai cette semaine ici même, il est justement question de ces institutions qui siphonnent de l’information brute et la font remonter au décideur sans analyse préalable. C’est très exactement ce que font les SDIG dès lors qu’elles travaillent pour les préfets. Dans ces circonstances, la SDIG ne fait pas du renseignement. Elle fait de l’information, avec la volonté de la faire remonter plus vite que la presse.
          Par ailleurs, je ne pense pas que ce conseill consultatif du renseignement que vous évoquez serait une bonne chose et ce, pour diverses raisons. Pour faire simple, je dirais que ce serait créer un « machin » qui serait rapidement phagocyté par le politique avant même que l’information ne soit véritablement traitée.
          Quant au préfet, de nos jours, c’est clair qu’il n’est même pas dans le portrait.

          1. Dans la course à l’info que se livre la presse, les services de renseignement et internet, c’est internet le vainqueur (de mon point de vue). Le grand perdant , c’est l’analyse, comme vous le suggérez.
            Problème, c’est que la démocratisation d’internet aux alentours de 2005 (notamment par les offres triple play) est trop récente pour que ses conséquences et son impact puisse pouvoir faire l’objet d’un doctorat. Il en résulte que les shémas enseignés dans les universités sont périmés, et qu’au final les « spécialistes du web » n’ont qu’une vision très partielle et partiale du phénomène. La disqualification des institutions et des entreprises en résulte. Ces institutions (loi hadopi, lopsi etc… sont la pour en témoigner) n’ont pas pris conscience ni des enjeux ni de l’échelle des problèmes. Nombre d’entreprises ont raté le virage d’internet.
            Surveiller un internaute bien choisi c’est bien, en surveiller 500 millions revient à saturer le système sous une montagne d’informations inutiles. Le big data, c’est bien, mais trop récent pour que quiconque (même les génies) puisse en exploiter judicieusement le potentiel.
            L’avenir du renseignement c’est l’expertise collective, petite démonstration;
            plutôt que de lutter contre un adversaire multiple, invisible et intelligent, soucieux de son anonymat, tel les anonymous, il est infiniment plus intelligent (et relativement facile), de mon point de vue de tenter faire de cet adversaire un allié. Témoin, le projet tyler: pourquoi pas, après tout fournir aux internautes ce qu’il demandent ? Il veulent de l’anonymat ? Offrons leur l’expertise des services de renseignement en matière de cryptographie, sous la forme d’une solution logicielle opensource permettant l’échange d’information et de fichiers via un forum anonymisé (Chaque nouvel inscrit ayant comme pseudo anonymous). Ce logiciel pourrait être utilisé par les ambassades, les entreprises, les particuliers etc…et servirait à échanger des informations ou des analyses, comme nous le faisons sur ce blog, tout en étant débarrassé-au moins en partie- des conflits d’ego et des pollutions habituelles (pubs, scam, propagande) des réseaux sociaux.

  4. Pour le « conseil régional du renseignement » ce n’est pas aux politiques d’en décider de la création, c’est aux services de renseignement concernés d’en prendre l’initiative. Et bien sur rien ne les oblige à en faire la publicité. Ce serait un comble si les services de renseignement ont la possibilité de refuser à quiconque, y compris au chef de l’état de communiquer la liste complète de leurs agents, et dans le même temps n’auraient pas la possibilité d’organiser comme bon leur semble leur propre administration, et leur rapports avec les autres composantes de la communauté du renseignement. S’il doit y avoir une loi sur le renseignement, cette loi doit donner l’autonomie administrative des services de renseignement. Autonomie qui leur donnera la possibilité d’échapper un tant soit peu aux manipulations politiques comme vous le suggérez. Mais le rattachement à la région militaire me semble pertinent.

    1. Pour ce qui est de l’analyse collaborative, le projet Analytic Transformation de la communauté américaine du renseignement nous prouve que c’est non seulement possible mais surtout indispensable. Les créateurs des Fusion Centers sont passés complètement à côté et rament maintenant quand les institutions leur reprochent (à juste titre) leur onéreuse inefficacité.

      Je suis moins enthousiaste que vous sur le crowdsourcing à tout va en matière de renseignement. Il faudra toujours des spécialistes, sous peine de tomber encore et toujours dans des biais cognitifs (genre group thinking).
      Quant au Big Data, très en vogue, dans bien des cas, c’est un miroir aux alouettes.

      En ce qui concerne le conseil régional du renseignement dont vous parlez, je pense que la région militaire n’est qu’une énième subdivision administrative du territoire. Je ne crois pas qu’elle soit plus adéquate qu’une autre. Dans l’optique de la future DGSI, il conviendrait plutôt de considérer la circonscription administrative qui correspondra à celle des services du Ministère de l’Intérieur (et non plus de la DGPN).

  5. LA DGSI…N’UTILISE PAS DUNE MANIERE INTELLIGENT..L’INFORMATIQUE ET L’ELECTRONIQUE.?INSTALLER DANS LES SITES A RISQUE.DES CAMERAS DES CAPTEURS DES PUCES ELECTRONIQUES??POUR CIBLER CERTAINE CIBLE CRITIQUE?? COMME AEROPORT??ET AUTRES..?SURTOUT LE PERSONNEL..DANS LES AEROPORTS??QUI VIENT DU MAGHREB../.?JE SUIS.SUR QUE POUR UN… EXERCICES…..JE PEUS PLACER UNE BOMBE DANS UN AVION..EN ME FAISANT PASSER POUR DU PERSONEL DE L’AEROPORT/.??..LES BADGE..CELA CE FABRIQUE.//?COMME TOUT LE RESTE.?DANS LES RENSEIGNEMENTS..VOUS MANQUEZ D’IMAGINATION//??COMME LES ENARQUES TECHNOCRATES..QUI NON JAMAIS EVOLUER…QUI NON JAMAIS CHANGER..DÉCONNECTER..DE LA RÉALITÉ.??DEPUIS PLUS DE 50.ANS..NON JAMAIS RIEN ANTICIPER SUR 50.ANS..NON AUCUN ESPRIT FUTURISTE…NON JAMAIS ANTICIPER….AU SUJET DE TOUS SES GENS DU MAGHREB DANS LES CITES…ET AU GOUVERNEMENT???LA PREUVE..LE TERRORISME..CELA ETAIT PREVISIBLE SUR 50.ANS./?LE FRANCE OUVRE LES BRAS..A TOUS SES GENS DU MAGHREB…ALGERIE..MAROC..TUNISE..AFRIQUE..AFRIQUE DU NORD.??ET LEURS ENFANTS..ASSASSINE.LES FRANÇAIS.. ASSASSINE LES VALEURS DE LA FRANCE./?MON GRND.PERE ME..L’AVAIT DIT DANS LES ANNEES.60..TU VERAS.PETIT SES GENS LA..UN JOUR NOUS TIRERONS COMME DES LAPINS..EN 2016…LES TERRORISTES…./?DANS LES GARES..DANS LES AEROPORTS..MEME DANS LES COMMISSARIATS….JE SUIS SUR..QUANT FESANS UN EXERCICE…BOMBE ILS NE REMARQUERAIT RIEN.?QUI RESEMBLE LE MIEUX DANS UN COMMISSARIAT…QU’UN POLICIER..A D’AUTRES POLICIERS??ET DANS UN AEROPORT IDEM././.???N’OUBLIEZ JAMAIS LE FUTUR DE L’HUMANITE….SERAS…QUANTIQUE….DONC SYSTEME DE SECURITE….EVOLUTION??????????ET TOUT LE RESTE…??

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