Qu’est-ce que le renseignement ? – 6ème partie

par Kristan Wheaton

Version originale : Sources & Methods
http://ow.ly/fVZEq
– 7 juillet 2008

Traduit de l’anglais (américain) par AP

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Les précédentes tentatives de définition émanant des agences de renseignement

Peut-être que la façon dont le Congrès définit le renseignement n’a pas d’importance. Peut-être est-ce à dessein que le législateur s’en est tenu à une définition vague. Après tout, ce n’est pas aux députés et aux sénateurs d’effectuer des tâches du renseignement. C’est là le travail d’hommes et de femmes qui appartiennent à des agences spécialisées. De fait, si la loi n’est pas parvenue à énoncer une définition utile et nuancée du renseignement, les gens qui dépensent les 50 milliards de dollars du budget en renseignement devraient quand même avoir une idée claire de ce qu’ils sont censés faire.

Pas si vite.

La communauté étasunienne du renseignement s’est dotée fin 2002 d’une façade publique via son site Internet communautaire. Son propriétaire, l’Office of the Director of National Intelligence (ODNI), l’a actualisé pour y inclure les récents changements qui ont accompagné la nomination de son dernier directeur, Mike McConnell [2007-2009 – NdT] ; mais ses pages ne proposent pour autant aucune définition du renseignement.

Jusqu’à récemment, l’ODNI avait pourtant défini le renseignement comme :

un ensemble de preuves, ainsi que les conclusions qui en sont tirées, acquises puis fournies pour répondre aux besoins connus ou supposés de leurs destinataires. Il provient souvent d’informations dissimulées ou censées être indisponibles pour celui qui les a acquises.

Note : bien que cette définition ne soit plus accessible sur le site principal Intelligence.gov, on peut encore la consulter via The Internet Archive en lançant une requête sur l’adresse http://www.intelligence.gov/2-character.shtml. Sur la foi de cet élément, il semble que la définition a été retirée du site aux alentours du 25 septembre 2006 [Cette page web a reparu par la suite avant de disparaitre définitivement du site principal après le 22 septembre 2007 – NdT].

Mais aux yeux de la communauté, il est clair que le renseignement est plus que de l’information ; et il est clair qu’il en est ainsi depuis au moins 2002. En tout état de cause, cette définition – elle aussi – s’avère étrange.

En effet, « preuve » est un terme juridique qui implique une tentative d’établir la vérité au sujet de quelque chose qui s’est déjà produit. Or, le meilleur renseignement est celui qui se concentre sur le futur. Sun Tzu déjà savait que :

si le prince éclairé et le général avisé défont l’ennemi chaque fois qu’ils passent à l’action, si leurs réalisations surpassent celles du commun, c’est grâce à l’information préalable.

[…] *

Tout aussi perturbante est l’idée que le renseignement est « fourni pour répondre aux besoins connus ou supposés de son destinaire.» L’utilisation de la voix passive implique que le renseignement serait une sorte de bibliothèque, utilisée pour répondre aux questions mais qui ne serait pas impliquée activement dans l’acquisition ou la compréhension de l’information pertinente pour les décideurs.

Cette définition compte deux failles supplémentaires. Tout d’abord, elle considère que le renseignement « provient souvent d’informations dissimulées…». Voilà une affirmation profondément trompeuse. Bien que le renseignement puisse recourir à des informations dissimulées ou secrètes, l’immense majorité des informations utilisées par les professionnels du renseignement moderne est ouvertement disponible (nous parlerons ultérieurement du rôle du secret dans le renseignement).

Ensuite, l’activité décrite dans cette définition ne fait pas la différence qui convient avec d’autres activités. Par exemple, ladite définition pourrait s’appliquer tout autant à un gestionnaire en ressources humaines qu’à un spécialiste du renseignement. Il ne fait aucun doute que les professionnels en ressources humaines recueillent des informations, qu’ils en tirent des conclusions et qu’ils les fournissent « pour répondre aux besoins connus ou supposés » des décideurs qu’ils assistent. Le travail en ressources humaines conduit même à traiter des informations secrètes – ou tout du moins privées. Or, ces deux rôles sont très différents. Une bonne définition du renseignement devrait en tenir compte.

Quoi qu’il en soit, le site web de l’Office of the Director of National Intelligence ne contient pas de définition claire et concise du renseignement. Et il est intéressant de constater qu’il en va de même du site Internet de la CIA – à l’exception d’une précédente tentative, à destination des enfants. Jusqu’en 2006, sur sa page web pour la jeunesse, la CIA déclarait :

Qu’est-ce que le renseignement ? Il est difficile de répondre à cette question.

L’Agence a récemment mis à jour son site web de façon encore plus banale :

Pour faire simple, le renseignement est l’information dont ont besoin les dirigeants de notre nation pour maintenir la sécurité du pays.

Les informations relatives au niveau de préparation des armées, à l’état de l’économie, à la sécurité de nos centrales nucléaires et d’autres infrastructures essentielles sont toutes nécessaires pour « maintenir la sécurité du pays ». Pourtant, aucune d’entre elles n’est considérée comme une activité traditionnelle du renseignement.

D’autres agences, comme la Defense Intelligence Agency et la National Security Agency, affichent  des énoncés de mission qui intègrent également le mot renseignement mais sans le définir. Le Department of Defense (DoD), qui, jusqu’à l’Intelligence Reform and Terrorism Act, accaparait 80% du budget en renseignement, donne de ce terme une définition qui n’est pas plus utile. Selon la Joint Publication 2-01 – Joint and National Intelligence Support to Military Operations (p. GL-17), le renseignement est :

1. le produit résultant de la collecte, du traitement, de l’intégration, de l’analyse, de l’évaluation et de l’interprétation de l’information disponible concernant des pays ou des territoires étrangers ;
2. l’information et la connaissance que l’on a d’un adversaire, telles qu’elles peuvent être obtenues par l’observation, l’enquête, l’analyse ou l’interprétation.

Publiée en 2004, cette définition de l’état-major interarmées omet curieusement la référence explicite au terrorisme qui figure dans la définition légale telle que modifiée en 2001 ; de fait, on ne sait toujours pas ce qu’est vraiment le renseignement ni à quoi il est censé servir.

À suivre – Les précédentes tentatives de définition par les experts du renseignement

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* : NdT : dans la phrase de l’article original qui suit cette citation de Sun Tzu, Kristan Wheaton entend le terme foreknowledge au sens de prévision. Conformément à trois traductions françaises [ 123 ] de l’ouvrage (deux depuis une traduction en anglais et une depuis le texte original chinois), je lui préfère le vocable information préalable qui, selon moi, s’accorde beaucoup mieux avec la suite du texte de Sun Tzu. Ainsi traduite, la citation du stratège chinois ne concerne pas la notion de prévision. Aussi ai-je choisi de ne pas reproduire la phrase de Kristan Wheaton qui en faisait mention. Je précise que cette ellipse n’a aucune incidence sur le reste de l’article.

À propos de Kristan Wheaton

Kristan Wheaton, J.D., est maitre de conférences à l’Institute for Intelligence Studies de la Mercyhurst University à Erie, Pennsylvanie (États-Unis). Ancien analyste du renseignement pour l’US Army, il fut notamment chef analyste pour l’Europe, au sein de la Direction du renseignement de l’US European Command, à Stuttgart.