Qu’est-ce que le renseignement ? 2ème partie

par Kristan Wheaton
Version originale : Sources & Methods http://ow.ly/dwyC7 – 30 juin 2008
Traduit de l’anglais (américain) par AP

» Sommaire de cette série «

L’importance d’une définition claire

Dans ce cas, pourquoi observe-t-on un tel manque de cohérence dans la définition du renseignement ?

Tout d’abord, il arrive souvent que des non-professionnels aient une vision romancée de certaines professions. Par exemple, principalement en raison de la popularité des films et séries TV se déroulant dans les tribunaux, beaucoup de gens ont tendance à penser que les avocats passent le plus clair de leur temps dans les prétoires. En réalité, c’est tout le contraire. La plupart des avocats sont peu souvent en cour ; et certains avocats n’y vont jamais. Pour ce qui est des idées préconçues du public à l’égard du renseignement, le plus simple serait de les attribuer à l’industrie du divertissement et à son insatiable appétit de fictions d’espionnage.

Simple, certes, mais surtout dangereux. Pour un non-professionnel, une saine prise de décision passe impérativement par une compréhension :

  • du rôle et des limites du renseignement,
  • de la part réduite que représente les activités confidentielles dans la plupart des activités de renseignement,
  • de la proportion que représente véritablement le renseignement dans les décisions en matière de commerce, de police et de sécurité nationale.

Pourtant, les manuels consacrés au gouvernement américain accordent rarement plus qu’une mention lapidaire quant au rôle du renseignement en son sein ; et il est fort probable que, actuellement, pas plus de 25 collèges et universités proposent des cours en renseignement.

Ce manque de compréhension s’avère particulièrement dangereux pour une démocratie. La perception qu’ont le commun des citoyens qu’il existe un culte du secret et que le pouvoir politique n’est pas imputable de ses actes, voilà qui est indéniablement en contradiction avec les fondamentaux de la démocratie et les libertés auxquelles aspirent ces mêmes citoyens. En tant que directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), le général Michael Hayden a déclaré :

En tant qu’organisation secrète au service d’une société ouverte et libre, la CIA s’est vue accordée une énorme confiance de la part du public. C’est cela, la notion de secret dans une démocratie. Il ne s’agit pas de nous concéder le pouvoir, mais de nous faire confiance. Chaque jour, nous devons mériter cette confiance – comme l’exige notre système démocratique – en agissant en accord avec ce que les citoyens attendent de nous : avec compétence et transparence, et toujours dans le respect des lois et des valeurs de notre République. C’est là notre contrat social.

Les responsabilités inhérentes à ce « contrat social » sont bien sûr à double sens. Non seulement le public a-t-il la responsabilité de mieux comprendre le renseignement et son rôle dans la prise de décision. Mais les professionnels du renseignement ont aussi le devoir de mieux expliquer ce qu’ils font et comment ils le font – enfin, dans la mesure où ils le savent eux-mêmes…

[En effet,] autant on peut comprendre – du moins en partie – la confusion qui règne dans l’esprit du public, autant il est déconcertant de constater le manque de cohérence parmi les professionnels du renseignement. C’est une chose pour une personne normale de ne pas savoir ce qu’est la loi. C’en est une autre pour un avocat de ne pas le savoir (voire de ne pas savoir où la trouver). Pourtant, c’est précisément la situation dans laquelle se trouvent les professionnels du renseignement de nos jours.

Pour les personnes désireuses d’enseigner la matière, il est donc particulièrement important de parvenir à une définition claire du renseignement. Nous souhaitons passer le plus de temps possible à enseigner comment faire du renseignement, à préparer les nouvelles générations d’analystes et d’autres professionnels du renseignement en vue des défis qui les attendent. Nous ne voulons pas ressasser de vieilles controverses.

Pour que notre démarche aboutisse, nous avons besoin d’établir une définition opérationnelle du renseignement. Une définition que les étudiants et leurs instructeurs dans les cours de renseignement économique, criminel et de sécurité nationale pourront transcrire en un ensemble de concepts théoriques et d’aptitudes pratiques ; lesquels constitueront non seulement les meilleures pratiques actuelles mais fourniront également une orientation pour les chercheurs désireux d’aller de l’avant.

3ème partie – Comment expliquer l’absence de définition ?

À propos de Kristan Wheaton

Kristan Wheaton, J.D., est maitre de conférences à l’Institute for Intelligence Studies de la Mercyhurst University à Erie, Pennsylvanie (États-Unis). Ancien analyste du renseignement pour l’US Army, il fut notamment chef analyste pour l’Europe, au sein de la Direction du renseignement de l’US European Command, à Stuttgart.