Il faut tuer le cycle du renseignement – 3ème partie

La rupture entre la théorie et la pratique

par Kristan Wheaton

Version originale : Sources & Methods

Traduit de l’anglais (américain) par AP

– Introduction et sommaire de cette série –

Le renseignement ne se génère pas de lui-même. C’est quelque chose que l’on fait, c’est un processus. Et l’idée selon laquelle le renseignement est un processus figure parmi les moins contestées dans les rangs des professionnels du renseignement.

Cependant, la représentation générale du processus de renseignement – c’est-à-dire la meilleure façon de caractériser et de catégoriser les éléments constitutifs du renseignement, quelque soit son secteur d’activité – est un champ théorique encore très ouvert.

Les professionnels du renseignement savent depuis longtemps que la façon traditionnelle de décrire le processus de renseignement – le soi-disant « cycle du renseignement » – est défaillante. Pourtant, aucune des alternatives proposées n’est encore parvenue à saisir les subtilités du processus tel qu’il est pratiqué, ni même à capter l’état d’esprit de la communauté du renseignement sur cette question.

La rupture entre la théorie et la pratique – entre les imperfections du cycle du renseignement d’une part, et la façon dont le renseignement est produit dans les faits d’autre part – a des impacts dans le monde réel. Bien que je reviendrai très souvent sur ce thème tout au long de cette série d’articles, il est d’ores et déjà utile de se faire une idée des inconvénients liés au fait de perpétuer un modèle erroné du processus.

  • Par exemple, s’il n’existe pas de consensus entre les différentes branches du renseignement (lutte contre le crime, secteur des affaires et sûreté de l’État) sur la façon de générer du renseignement, il est impossible d’étudier le processus en vue de l’améliorer.
  • En outre, les réformes proposées sous l’empire de modèles défaillants sont susceptibles d’être elles-mêmes défaillantes ; elles s’avèrent en effet incapables de résoudre les problèmes systémiques, vu qu’elles appréhendent mal le système en question.
  • Par ailleurs, former des étudiants à des modèles de processus qui s’effondrent dès qu’ils sont confrontés à la réalité, cela diminue la valeur de la formation aux yeux de ceux qui la suivent, en plus de leur porter un coup au moral.
  • Les budgets accordés sur la base d’un modèle défaillant sont susceptibles d’être mal alloués et de nécessiter des solutions de contournement qui grèveront encore davantage des ressources déjà limitées.
  • Employer du personnel pour tenir des postes créés en vertu d’un modèle douteux, c’est la quasi-certitude d’une inadéquation entre les aptitudes et compétences nécessaires d’une part, et celles des personnels embauchés d’autre part.

Et la liste est longue.

Dans cette série d’articles, je commencerai par examiner le cycle du renseignement et quelques-unes des critiques qui lui sont faites. Puis, j’étudierai les alternatives au cycle du renseignement. Enfin, j’exposerai la compréhension que j’ai du processus. Bien que chaque programme de renseignement soit spécifique, ma propre expérience et les éléments que j’ai colligés tout au long des huit dernières années indiquent qu’il existe des modèles applicables à cette activité, que ce soit en sûreté de l’État, en intelligence économique ou dans la lutte contre le crime ; des modèles qui sont communs à l’ensemble des professions de renseignement.

Le but ultime de cet exercice sera d’exposer, brièvement et aussi clairement que possible, cette nouvelle représentation du processus, en se basant sur le renseignement tel qu’il est pratiqué dans ses différentes branches et ce, quelque soit l’ampleur de l’activité de renseignement exercée. En outre, je souhaite trouver le juste milieu entre simplicité et luxe de détails, afin que cette explication du processus soit accessible à tous les étudiants en renseignement, quelque soit leur âge ou leur niveau d’expérience.

4ème partie – Le cycle traditionnel »

À propos de Kristan Wheaton

Kristan Wheaton, J.D., est maitre de conférences à l’Institute for Intelligence Studies de la Mercyhurst University à Erie, Pennsylvanie (États-Unis). Ancien analyste du renseignement pour l’US Army, il fut notamment chef analyste pour l’Europe, au sein de la Direction du renseignement de l’US European Command, à Stuttgart.