Pratiquer la scientologie en dehors de l’Église : une idée qui prête à discussion

La semaine dernière, à Paris, s’achevait le procès en appel de deux organisations de scientologie, condamnées en première instance pour escroquerie en bande organisée et exercice illégal de la pharmacie. La décision est attendue pour février 2012. L’affaire a connu son lot de déboires. On a beaucoup parlé des diverses exceptions d’inconstitutionnalité soulevées en vain par les avocats de l’Église de scientologie parisienne. On a en revanche un peu moins évoqué les successifs désistements des victimes qui s’étaient constituées partie civile. C’est regrettable, car l’influence de la scientologie sur les anciens adeptes constitue une question essentielle.

Par un heureux hasard, je relisais justement ces derniers jours quelques articles consacrés à des dissidents scientologues par le St.Petersburg Times. Bien que local, ce journal de Floride est mondialement connu depuis plus de 35 ans pour ses excellents et récurrents articles consacrés à l’Église de scientologie.

En effet, St.Petersburg est situé dans la baie de Tampa, à une vingtaine de kilomètres de Clearwater, une ville investie massivement par l’Église de scientologie dès 1975 pour y implanter ce qu’elle appelle elle-même sa ”Mecque”. Régulièrement, le journal publie des articles de fond particulièrement documentés. Les journalistes du St.Petersburg Times figurent ainsi en très bonne place dans le classement des ennemis de la secte aux États-Unis.

En 2009, ils ont ainsi initié une série intitulée Inside Scientology, intégralement disponible sur Internet. Elle s’enrichit au fil des mois de nouveaux articles, toujours plus éclairants sur le fonctionnement de la haute direction de l’organisation créée par L. Ron Hubbard.

Le fondateur, mort en reclus en 1986, a été supplanté dès 1983 par un jeune loup dénommé David Miscavige. C’est lui qui règne sans partage sur l’Église de scientologie depuis cette date. Au cours des dernières années, des témoignages de plus en plus nombreux se sont fait jour sur les extrémités du despotisme de Miscavige.

Des adeptes de haut niveau, affectés au quartier général de Los Angeles ou à la Mecque de Clearwater, ont fait défection. Ils ont rendu compte de violences physiques exercées par David Miscavige sur ses subordonnés et de l’ambiance particulièrement délétère qui régnait à l’Église, notamment en raison de sa politique commerciale hyperagressive, forçant les adeptes à acheter des biens et services et les extorquant à l’occasion.

Les porte-paroles officiels de l’Église déclarent qu’il s’agit là d’élucubrations émanant d’apostats revanchards, furieux de n’avoir pu atteindre l’élévation spirituelle que propose l’organisation. Qui a raison ? De prime abord, c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre. Mais si l’on se livre à une analyse des déclarations officielles de l’Église de scientologie, on découvre aisément qui ment et qui dit la vérité.

Mon propos ici n’est pas de me livrer à une telle étude. L’entreprise est absolument passionnante pour l’analyste que je suis. Mais elle serait longue et ennuyeuse à lire, particulièrement dans le cadre d’un blogue. Ce qui m’intéresse ici, c’est plutôt de donner un point de vue alternatif sur les conclusions sous-jacentes de certains articles du St.Petersburg Times. Le journal donne ainsi la parole à de nombreux scientologues de haut niveau qui ont quitté l’Église au cours des dix dernières années.

Parmi ces anciens hauts responsables interrogés par le journal, plusieurs demeurent des scientologues convaincus. Ils continuent à pratiquer la religion de L. Ron Hubbard, en dehors de l’orthodoxie représentée par l’Église de scientologie. Celle-ci qualifie ces dissidents de ”squirrels” et dénoncent avec virulence leurs pratiques schismatiques. Mais pour ces écureuils fous, c’est Miscavige le despote qui a perverti les écrits de L. Ron Hubbard pour son profit personnel.

La FreeZone

De tels groupes ”squirrels” existent de façon plus ou moins formelle depuis des décennies. Le principal est l’International FreeZone Association qui se définit ainsi :

L’International Freezone Association (IFA) est un groupe de personnes, d’auditeurs et de groupes qui estiment qu’ils devraient être libres de pratiquer la philosophie originale de Lafayette Ron Hubbard. Ils pensent que, depuis la mort du fondateur du mouvement, l’Église de scientologie a complètement dévié de la philosophie originale et de l’objectif du groupe, tels que Hubbard les avait énoncés et développés à l’origine. Les membres de l’IFA ne souhaitant pas participer à une pratique d’une philosophie altérée, ils ont choisi de pratiquer la philosophie qu’ils ont choisie de façon indépendante de l’Église. Il s’agit d’une résurgence de la technologie originelle de Lafayette Ron Hubbard, connue sous la dénomination de Technologie standard.

Le St.Petersburg Times prend fait et cause pour les ”squirrels” qu’il interviewe. Il tend à les présenter comme des personnes ayant retrouvé une santé d’esprit et leur liberté de pensée. De fait, ils dénoncent aujourd’hui la tyrannie qu’exerce le roi David. Et le journal de citer de nombreux exemples de dérapages du système Miscavige. Je me contenterai ici d’en citer trois.

  1. Les articles reviennent tout d’abord sur l’affaire Lisa McPherson (1997). Cette adepte, alors en formation à Clearwater, avait été diagnostiquée ”psychotique” par ses superviseurs scientologues. Elle avait alors été placée en isolement. Cette coupure totale avec l’extérieur s’était soldée par une grave déshydratation et une rapide dégradation de sa santé physique et mentale. Elle devait décéder, après 17 jours d’enfermement, dans la voiture qui la conduisait à l’hôpital.
  2. Les journalistes reviennent également de façon récurrente sur le Rehabilitation Project Force (RPF). Il s’agit de camps de travail dans lesquels sont envoyés les membres en disgrâce de la Sea Organization, le corps d’élite de l’Église de scientologie.
  3. Le St.Petersburg Times évoque aussi les pratiques douteuses de l’Éthique de scientologie, c’est à dire le pouvoir disciplinaire de l’Église.

 Mais cette vision des choses est doublement biaisée.

David Miscavige a (parfois) bon dos

En effet, de nombreux exemples d’exactions commises en scientologie sous le règne de David Miscavige trouvent en réalité leur justification dans des textes sans équivoque du fondateur de l’Église, L. Ron Hubbard.

  1. Ainsi, Lisa McPherson avait été placée en isolement dans le cadre du ”programme d’introspection”. Dans ma thèse de doctorat en droit criminel consacrée à la secte, j’avais démontré (p.495 s.) en quoi l’application de ce programme dans les organisations de scientologie en France relevait de l’arrestation et de la séquestration arbitraires. Mais le programme d’introspection apparait dans la littérature scientologique sous la plume de Hubbard en janvier 1974, soit près de dix ans avant que David Miscavige ne prenne le contrôle de l’Église. Ce sont ces écrits du fondateur que les superviseurs de Lisa McPherson ont appliqués à la lettre en 1997.
  2. En ce qui concerne le RPF, on dispose d’un très grand nombre de documents internes faisant état de sa création et de son fonctionnement. Là encore, ses textes de référence sont l’œuvre de L. Ron Hubbard et apparaissent dès les années 1960. David Miscavige n’était même pas né… L’actuel homme fort de l’Église n’a guère fait qu’appliquer durablement sur la terre ferme ce que L. Ron Hubbard préconisait et pratiquait alors sur la flottille de bateaux qu’il commandait. Il s’agissait alors du quartier général de la Sea Org, voguant sur les océans pour échapper aux autorités de divers pays.
  3. Enfin, concernant les pratiques douteuses du pouvoir disciplinaire, il serait malhonnête d’en attribuer la paternité à David Miscavige. En effet, le système de l’Éthique de scientologie est une complète création de L. Ron Hubbard et ce, dès les années 50. Environ quinze ans avant la naissance de Miscavige…

De quoi reconstituer l’Église de scientologie… en dehors de l’Église de scientologie

Quitter l’influence de Miscavige tout en continuant à appliquer les écrits de L. Ron Hubbard n’est pas nécessairement le signe d’une rémission. C’est parfois reculer pour mieux sauter. Il faut se souvenir que les défecteurs considèrent toujours les écrits de L. Ron Hubbard comme la parole divine.

C’est le cas de ses innombrables monographies, de nature spirituelle. Mais aussi des  fameux ”volumes rouges”, ces recueils de directives du fondateur décrivant comment délivrer les thérapies physiologiques et psychologiques de scientologie.

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Et il en va de même des tout aussi fameux ”volumes verts”, qui compilent les normes hubbardiennes de fonctionnement des organisations de scientologie.

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Un scientologue dissident dispose donc de tous les outils nécessaires pour reproduire, à moindre échelle, les façons de faire de l’orthodoxie scientologique. Aussi, il ne s’agit pas de savoir s’il va appliquer les écrits de L. Ron Hubbard – c’est une évidence – mais bien plutôt de déterminer jusqu’à quel point il va les appliquer.

Ainsi, si l’on en croit les écrits de la Free Zone, cette application des textes du fondateur s’avère rigoureuse. Il est fort probable que l’on y pratique des procédures aussi controversées que le programme d’introspection. La question est de savoir si les responsables de l’organisation ont clairement établi des limites pour éviter des débordements illégaux.

Il faut par ailleurs rappeler que, au début de leur cursus spirituel, tous les scientologues – qu’ils soient ou non membres de l’orthodoxie de l’Église – doivent purifier leur corps physique en suivant un programme de purification. Dans ma thèse, j’ai démontré que cette pratique constitue, en droit pénal français, un exercice illégal de la médecine.

Je ne prétends pas que la Free Zone est de facto une pépinière d’organisations et de gourous criminels. On aurait par exemple du mal à établir dans ces groupes dissidents des pratiques d’escroquerie en bande organisée comme celles que j’ai établies dans ma thèse (p. 199 s.) et que la justice française a confirmées en 2009 concernant l’Église de scientologie de Paris. Mais il faut garder à l’esprit que des écrits fondamentaux de L. Ron Hubbard en scientologie évoquent des pratiques illégales. Les mettre en application a des conséquences juridiques, au civil comme au pénal.

Pour un adepte désenchanté, quitter l’Église de scientologie est une étape essentielle. Mais ce n’est qu’une étape. Il a parfaitement le droit de continuer à croire dans la justesse spirituelle des écrits de L. Ron Hubbard. Mais il doit ensuite décider s’il souhaite les mettre en application.

La scientologie n’échappe donc pas à la règle : si la liberté de religion est totale, la liberté de culte ne l’est pas.

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.

3 réponses sur “Pratiquer la scientologie en dehors de l’Église : une idée qui prête à discussion”

  1. Bonjour,

    Pour moi, la question essentielle est celle des vies antérieures. La curiosité humaine est bien compréhensible. Qui veut ne pas savoir ? Qui peut accepter de ne pas savoir ? Ce qu’on entend par civilisation occidentale jusqu’à l’islam a jeté un interdit total sur les vies antérieures. Aujourd’hui, il n’y a plus grand monde pour le rappeler avec la fermeté nécessaire. Les vies antérieures sont une voie de perdition. Il n’y a pas que la $cientologie et ses dissidents qui sont concernés. Voici ce que j’écris sur mon site à ce sujet :

    http://paul.de.maisonneuve.perso.sfr.fr/francais/secte/index.htm

    Mise en garde

    Rappelons qu’au moins pour les religions du Livre, le judaïsme, le christianisme et l’islam, toute recherche de communication réelle avec des morts, à commencer par soi-même, est interdite. Ne sont autorisées, même encouragées, que les prières adressées à des saints, des saintes ou supposés tels. Toute forme d’introspection dans des vies antérieures ou prétendues telles est interdite, même si cela peut sembler apporter un soulagement, ce dernier est trompeur et voie de perdition. Celui ou celle qui s’y livre ou qui y participe s’exclut de facto des religions juive, chrétienne et musulmane. Cet interdit est formel, c’est-à-dire sans la moindre ambiguïté, dans ces trois religions et probablement quelques autres. On peut qualifier cet interdit d’obscurantiste, on peut aussi le qualifier de très grande sagesse. A voir ceux et celles qui s’y livrent ou qui y participent, largement plus d’un milliard d’êtres humains actuellement, peut-être bien plus de la moitié de la population mondiale actuelle, j’opterais plutôt pour le second avis. En résumé, dire qu’on peut être à la fois juif et $cientologue, chrétien et $cientologue ou musulman et $cientologue, est une ineptie, un énorme et grossier mensonge. Les vies antérieures sont essentielles en $cientologie, or c’est un interdit formel aussi bien chez les juifs que chez les chrétiens et les musulmans.

    Paul de Maisonneuve.

  2. Merci Arnaud Palisson d’être un des rares intellectuels qui en France publie cette vérité au sujet de Freezone.
    En effet il est important de dénoncer que ce mouvent scientologue Freezone propose exactement la même thérapie invasive et farfelue que la scientologie sous les ordres de David Miscavige.
    Vendre une telle thérapie à prix cassé ne change aucunement son potentiel de dangerosité. Elle présente les mêmes risques pour les santés mentale et physique des patients (adeptes?).
    D’autre part, il reste chez ces ex-scientologues un conditionnement stupéfiant qui consiste à prendre à la lettre les paroles de Ron Hubbard comme par exemple cette obligation qui consiste à suivre des étapes spécifiques pour réparer ses fautes (ses mauvaises statistiques), ce qui n’est rien d’autre qu’une justice parallèle et arbitraire.(Cf. les conditions d’éthique de la scientologie)
    Aucun freezoner que j’ai rencontré, ou à qui j’ai posé mes questions sur divers forums, ne m’a indiqué vouloir remettre en question cette justice arbitraire de Ron Hubbard !
    Bien au contraire…

    1. Merci d’abonder dans mon sens.
      Quitter l’orthodoxie pour créer une secte (au sens large) n’est pas nécessairement un signe de raison.
      Surtout lorsque c’est pour continuer à jouer aux apprentis sorciers.
      Par ailleurs, l’Éthique est pour moi en effet une question essentielle relativement à la FreeZone.

      PS : je signale que je ne suis plus « en France », mais au Canada. Cela dit, je m’intéresse toujours à ce qui s’y passe relativement au phénomène sectaire.

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