Avec le Chef de la TSA, plus ça change, plus c’est pareil

Le mois dernier, le Chef de la Transportation Security Administration (TSA), M. John Pistole, a accordé une longue entrevue en public au Newseum de Washington (voir le vidéo ici), dans le cadre de la commémoration du 10ème anniversaire des attentats du 11 septembre 2001.

À cette occasion, il a évoqué les changements en cours et futurs au sein de son administration. Mais comme à son habitude, il a énoncé quelques contrevérités.

Ainsi, il évoquait tout d’abord le Checkpoint of the Future, développé par l’International Air Transport Association (IATA). Le projet vise à de reconstruire le point de fouille aéroportuaire en une série de trois couloirs parallèles, chacun correspondant à un niveau de risque spécifique et proposant des système de contrôle adaptés. M. Pistole concluait [à 19’00″] :

Pistole That’s a great concept, but it is not there from a technology perspective.

Certes, la technologie n’est pas encore au point. Mais quand bien même le serait-elle, le Checkpoint of the Future ne serait pas pour autant la panacée. John Pistole reprend ici à son compte la dialectique de sa ministre de tutelle, Janet Napolitano. Pour le Department of Homeland Security (DHS), en effet, la technologie est la solution ultime aux problème de sureté aérienne. Une position officielle que nous avons critiqué il y a peu sur ce blogue.

M. Pistole déclarait également [ à 7’55″ ] :

Pistole We have information now that’s been put out about even terrorists going to the extreme of having surgical implanted bombs that they would then carry as a suicide bomber.

Lâchée ainsi en pâture à la presse et au public dans une entrevue commémorant les attentats du 11-Septembre, la phrase a des allures inquiétantes. Mais elle appelle deux commentaires.

Tout d’abord, elle s’avère en contradiction avec les renseignements que son administration a transmis aux compagnies aériennes et selon lesquels :

  • il ne s’agit là que d’un possible mode opératoire ;
  • il n’existe pour l’heure aucune menace spécifique de cet ordre.

Ensuite, en parlant de cette façon  publiquement d’une telle menace terroriste, M. Pistole cherche à justifier les mesures drastiques de contrôle préembarquement aux aéroports, tels que les scanneurs corporels et les palpations renforcées. Mais ce faisant, il scie la branche sur laquelle il est assis : en effet, aucune de ces mesures de sureté n’est capable de détecter ces bombes chirurgicales…

Il est ensuite interrogé par un membre de l’assistance à propos du programme Trusted Traveler, qui s’inquiétait de la possibilité pour des terroristes de s’enregistrer sur ce programme et de pouvoir ainsi déjouer plus facilement la sureté aéroportuaire.  [à 33’12”]

Pistole So that’s why I always wanted to maintain the random and unpredictable.

Si le contrôle aléatoire est le seul moyen que la TSA a trouvé pour sécuriser le programme Trusted Traveler, c’est pour le moins inquiétant.

M. Pistole évoque enfin le système israélien de sureté aéroportuaire. Et il a cette phrase proprement incroyable : [à 25’20″]

Pistole There’s obviously things [Israeli] do that go beyond what we are allowed to do here, in terms of profiling and focusing on certain groups of people based on ethnicity or religion. In the U.S., we don’t do that (…). We are actually doing something at Boston Logan right now that is based not only on Israeli model, if you will, but some other aviation practices around the world that involve more passenger engagement. (…) It becomes a question of how can we use the tools available to us within our U.S. constitutional framework, respecting privacy and civil liberties to make sure we are doing the best possible job.

Autrement dit, aux États-Unis, on ne fait pas de profilage racial. Eh bien, en Israël non plus. Et ce, depuis le massacre de l’aéroport de Lod, en 1972.

Pour ce qui est du sacro-saint cadre constitutionnel américain, je crois que la TSA en a largement dépassé les limites depuis plusieurs années :

  • elle a mis en place des scanneurs permettant de voir sous les vêtements des passagers,
  • elle a introduit des méthodes standard de palpation des zones sexuelles,
  • elle soutient ses employés lorsqu’ils se livrent à des actes déplacés voire insupportables.

Les limites constitutionnelles en la matière ont été largement franchies ! Les autorités israéliennes, pour leur part, ne recourent pas à ces méthodes d’un autre âge au point de fouille des aéroports.

Le Chef de la TSA semble justifier ces comportements par le fait que la sureté de l’aviation civile doit primer sur le respect des usagers [à 21’45″] :

Pistole What we do is provide training for our security offices in how to provide the most effective security and there’s been a customer service aspect of that but that’s been secondary to the security focus.

C’est bien le problème. En Israël, on a pensé le système en fusionnant les deux aspects. Ainsi, en 2007, l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv a été classé 1er aéroport en Europe et au Moyen-Orient en termes de satisfaction de la clientèle.

Comme quoi, pour les autorités aéroportuaires, service à la clientèle et sureté de l’aviation civile doivent être pensées de façon indissociable. C’est là une stratégie essentielle que le chef de la TSA continue de ne pas comprendre.

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.