La stratégie déficiente du nouveau chef de la sureté des transports américains

John Pistole a été nommé à la tête de la Transportation Security Administration (TSA) fin juin 2010,  alors que l’institution voguait sans capitaine depuis un an et demi.

M. Pistole était la semaine dernière de passage à Atlanta, l’aéroport le plus achalandé du monde. Interrogé par un journal local, l’Atlanta Journal – Constitution, il a montré que, derrière son aura d’ancien directeur adjoint du FBI, spécialiste du contre-terrorisme, se cache en fait un haut fonctionnaire déjà engoncé dans les idées reçues.

Si, les premières semaines de son mandat, le style John Pistole a pu faire illusion, il est clair aujourd’hui qu’il a fait long feu… Comme l’attestent les extraits suivants.

Q.: What are the people that need greater scrutiny ?

A.: Clearly those on any type of watch list (…)

Si c’est là une des priorités majeures de M. Pistole, il convient de s’inquiéter. En effet, comme nous l’avons rappelé précédemment, les watch lists regorgent littéralement de noms de personnes qui n’ont proprement rien à voir, de près ou de loin, avec le terrorisme ou la grande criminalité.

Souvenons-nous que :

  • entre 2007 et 2010, 82 000 personnes prenant un vol vers ou depuis les États-Unis ont fait l’objet d’un contrôle pré-embarquement resserré – et négatif -, sur la seule foi de la watch list du National Counter Terrorism Center (NCTC) (qui compte 550 000 noms) ;
  • rien qu’en 2007, 27 000 de ces personnes ont été retirées de cette même liste .
  • les faux négatifs sont encore légion. Et l’attentat du vol 253 a même conduit les autorités, début 2010, à inverser la vapeur et à regarnir généreusement les watch lists.

Ces listes sont en passe de devenir moins fiables que jamais. Mais le chef de la TSA leur accorde toute sa confiance.

John Pistole nous dit par ailleurs qu’il entend poursuivre le développement de l’installation des nouveaux scanneurs corporels. Il avoue implicitement que ces nouveaux matériels dits d’advanced imaging technologies (AIT) devront remplacer tous les détecteurs métalliques, mais que cela prendra plusieurs années. 300 ont déjà été installés dans une soixantaine d’aéroports étatsuniens. Il est prévu d’arriver à 500 à la fin 2010, mais c’est l’ensemble des 2200 points de contrôle pré-embarquement qui sont visés à moyen terme.

John Pistole déclare ensuite :

What I don’t want to see happen is terrorists going on a website and seeing where there is AIT and where there’s walkthrough metal detectors and using, like on Christmas Day, a non metallic explosive device through one of those airports that does not have AIT.

Voilà un ancien directeur du FBI qui n’a apparemment jamais entendu parler de renseignement d’origine source ouverte… Car grâce à l’Internet et aux outils Web 2.0, on peut ainsi obtenir en très peu de temps une masse d’informations pertinentes en la matière. Pour le prouver, en me limitant volontairement à une heure, j’ai ainsi été capable, à partir de seuls éléments de source ouverte, de créer cette carte sous Google Earth, répertoriant une majorité des aéroports étatsuniens (et la totalité des aéroports canadiens) pourvus de scanneurs corporels.

Visualiser cette carte
sous Google Earth :

Que faut-il penser d’une stratégie de sureté basée au moins en partie sur un « secret » qui peut être éventé en une heure, à partir d’une simple connexion Internet ?

Mais la déclaration la plus caractéristique de l’immobilisme forcené de la TSA apparait dans la bouche de son directeur en toute fin d’entrevue.

Q.: How do you plan to address the privacy issues with AIT machines?

A: Well, trying to reassure the public that first, it’s optional. They don’t have to go through it. Of course they will receive a thorough patdown. (…) I think that addresses most of the privacy concerns.

Autrement dit, les scanneurs corporels ne sont pas obligatoires. Certes. Mais dans ce cas, il va falloir m’expliquer pourquoi M. Pistole souhaite instaurer de telles machines à tous les points de contrôle passagers.

Si les nouveaux scanneurs sont optionnels :

  • Pourquoi M. Pistole s’inquiète-t-il de voir sur Internet une liste des aéroports qui n’ont pas de scanneurs corporels ?
  • S’il suffit de demander à ne pas être scanné pour contourner la machine, à quoi sert la machine ?
  • En outre, peu importe que les good guys acceptent à 95 % de se faire scanner. Car les bad guys, ceux-là même qui justifient le déploiement de ces machines, ceux-là pourront refuser de se faire scanner et ce, dans une proportion de… 100 % !

Quel panache dans la dilapidation de  l’argent du contribuable américain. Faites le calcul : 2200 points de contrôle pourvus chacun d’une machine à 200 000 $ = 440 M$ investis en pure perte !

Mine de rien, cet article de la presse régionale a dévoilé quelques aspects fondamentaux de la nouvelle stratégie de sureté du transport aérien pour les prochaines années aux États-Unis.

Nous voilà rassurés.

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.