Sondage IPSOS sur les sectes : coup de projecteur sur un coup d’épée dans l’eau

Les 24 et 25 septembre dernier, l’institut de sondage français IPSOS a réalisé une enquête auprès d’un échantillon d’un petit millier de Français. Elle consistait en une demi-douzaine de questions relatives aux sectes. Nombre de médias de l’Hexagone ont fait état de ce sondage. Mais en se contentant de paraphraser une dépêche de l’AFP , la presse contribue à diffuser encore davantage une perception largement biaisée du phénomène sectaire en France.

Tout d’abord, l’IPSOS demande aux sondés :

  1. s’ils ont entendu parler de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et
  2. s’ils savent précisément ce dont il s’agit.

L’institut de sondage regroupe sous un même pourcentage ceux qui répondent oui à au moins une question. Ainsi, 26 % disent connaitre la Miviludes, un chiffre que l’on peut qualifier d’acceptable.

Toutefois, ce rapprochement réalisé par l’IPSOS est fallacieux et révèle une faille méthodologique. En effet, il existe une différence colossale entre connaitre un organisme de nom et savoir exactement quelles sont ses attributions.

Il me semble au contraire qu’il faudrait rapprocher les personnes qui ne connaissent pas l’institution, c’est-à-dire :

  • ceux qui ne connaissent pas ses attributions,
  • et celles qui ignorent jusqu’à son existence.

Vu sous cet angle, on constate que 93 % des sondés ignorent ce qu’est la Miviludes. Un chiffre qui s’avère beaucoup plus révélateur. Voilà une institution spécifiquement française, qui se gargarise de sa spécificité dans tous les colloques internationaux. Un modèle du genre en effet : malgré son financement public et son importante couverture médiatique, la mission interministérielle demeure inconnue des Français.

L’enquête d’opinion met ensuite en parallèle la dangerosité des sectes telle que perçue par les sondés à l’encontre de :

  • la démocratie,
  • leur entourage familial et amical,
  • eux-mêmes.

C’est ici que l’on trouve le pourcentage dont tous les médias se sont fait les gorges chaudes : 66 %, soit 2/3 des personnes interrogées, estiment que les sectes présentent un danger pour la démocratie.

Ce chiffre ne doit pas étonner. En effet, cette idée est largement diffusée de façon récurrente dans la presse. C’est donc tout naturellement qu’elle se retrouve majoritairement dans l’opinion publique. Pourtant, rien n’est plus faux.

En effet, le danger que les sectes nocives représentent pour les institutions démocratiques du pays est quasi-nul. On compte sur les doigts de la main le nombre d’organisations sectaires qui visent à l’instauration, dans le monde profane, d’une dictature menée par leur gourou.

Et encore ! C’est une chose de se réunir à cinq dans une cave pour préparer le Grand Soir. C’en est une autre d’être en état de renverser le gouvernement.

Le sondage établit ensuite que la moitié (51 %) des personnes interrogées pensent que les sectes ne sont pas un danger pour leur entourage familial et amical. Et c’est même près du quart des sondés (23 %) qui estiment qu’elles ne présentent aucun danger sur ce plan.

C’est là une contradiction majeure. Car s’il est un domaine qui doit éventuellement inquiéter la population, c’est bien l’incidence du phénomène sectaire sur la famille et les amis.

Combien d’affaires de sectes ont, en France, menacé la forme républicaine du gouvernement ? Aucune.

Combien d’affaires de sectes ont, en France, déchiré des familles ? Une quantité appréciable.

Les sectes nocives ne présentent pas un danger au plan du droit constitutionnel. Elles devraient en revanche être une préoccupation au plan pénal. Une telle évidence m’a fait écrire précédemment que le phénomène sectaire devrait être suivi en France d’abord et surtout sous un angle de renseignement criminel et non plus de renseignement de sécurité.

Je ne m’étendrai pas sur le fait que, pour près des 2/3 des sondés (64 %), les sectes ne sont pas un danger pour leur propre personne. Après tout, comme chacun sait, « l’enfer, c’est les autres »…

La question suivante nous apprend que 20 % des personnes interrogées connaissent, dans leur entourage (famille, amis, travail) au moins une personne victime de dérives sectaires. Le chiffre peut sembler énorme. Mais il est, lui aussi, trompeur.

En effet, imaginons une entreprise de 30 personnes. L’une d’elles est Témoin de Jéhovah, une obédience qu’elle aura tôt fait de révéler à toute l’entreprise.

Dès lors, à la question :

Dans l’entreprise, combien de personnes connaissent une personne qu’ils estiment victime de dérive sectaire ?

on obtiendra pour réponse :

29 sur 30, soit 97 % !

Par extrapolation, on comprend que le biais méthodologique est flagrant.

Enfin, le sondage demande si les pouvoirs publics en font assez sur les dérives sectaires. Bel exemple de question passe-partout, passage obligé de toute enquête d’opinion qui se respecte. 44 % pensent que non, 39 % pensent que oui. À question stupide, réponse… non pertinente.

Bref, on le voit, il reste encore bien du travail d’information avant que la presse et le grand public ne soient correctement instruits des enjeux stratégiques relativement aux dérives sectaires. Officiellement, cette tâche incombe à la Miviludes, un organisme public pour ainsi dire inconnu de 93 % des Français ! Oui, décidément, il y a encore beaucoup de travail…

À propos de Arnaud Palisson

Arnaud Palisson, Ph.D. fut pendant plus de 10 ans officier de police et analyste du renseignement au Ministère de l'intérieur, à Paris (France). Installé à Montréal (Canada) depuis 2005, il y a travaillé dans le renseignement policier puis en sureté de l'aviation civile. Il se spécialise aujourd'hui dans la sécurité de l'information et la protection des renseignements personnels.